Julien Bondaz : “Le terme de ‘marabout’ recouvre un ensemble d’acteurs plutôt qu’une catégorie bien définie”
Alors que le footballeur Paul Pogba est accusé par son propre frère d’avoir eu recours à un marabout pour jeter un sort à son coéquipier en équipe de France, Kylian Mbappé, ce qu’il conteste, l’anthropologue Julien Bondaz nous explique les ressorts de cette pratique, au croisement de la magie et de la religion, et son développement mondialisé, en particulier dans le monde du sport.
En quoi consiste l’activité d’un marabout ?
Julien Bondaz : Le terme, qui vient de l’arabe murâbit (مَربوط ou مُرابِط) et a d’abord été repris par les Portugais avant de se diffuser dans les autres langues européennes au XVIIe siècle, recouvre un ensemble d’acteurs plutôt qu’une catégorie bien définie. À l’heure actuelle, il désigne aussi bien des dignitaires confrériques et des maîtres d’écoles coraniques, dans le cadre de l’islam soufi, que des devins-guérisseurs, qui pour certains se rapprochent de la sorcellerie. C’est aussi cette distinction qui est en jeu dans la polémique autour du joueur de football Paul Pogba. Ce dernier est accusé par son frère d’avoir eu recours à ce qu’on appelle la « sorcellerie instrumentale », qui permet, par des moyens magico-rituels, en manipulant des objets ou en prononçant certaines paroles, de porter atteinte à quelqu’un, et s’incarne dans la figure du jeteur de sort. Lui se défend en disant qu’il a donné de l’argent à un marabout pour aider une association qui s’occupe d’enfants, ce qui renvoie plus à la figure du maître coranique ou du dignitaire confrérique.
Il y a donc des “bons” et des “mauvais” marabouts ?
Les marabouts sont ambigus parce qu’ils peuvent être aussi bien du côté de l’islam le plus respectable que de la sorcellerie la plus maléfique, du côté de la charité désintéressée que de l’agression sorcellaire, voire du sacrifice humain. Dans notre livre (L’Offrande de la mort. Une rumeur au Sénégal, avec Julien Bonhomme, CNRS Éditions, 2017), nous avons intitulé un chapitre « Un marabout peut en cacher un autre » car quand on apprend que quelqu’un est allé voir un marabout, on ne sait jamais de quel genre de marabout il s’agit. Cette distinction entre « bon » et « mauvais » marabout passe aussi par leurs usages du Coran. Les bons marabouts utilisent la prière. Certains marabouts font un usage moins licite du Coran : ils en intègrent des versets dans des petits objets, comme des amulettes, ou les écrivent sur des tablettes coraniques dont on lave l’encre avant de consommer l’eau et l’encre mélangées pour ingérer les écritures [saafara en wolof, littéralement « feu », mais qui désigne ici le breuvage obtenu par lavage des versets du Coran, voir ici et là]. Et les pratiques des mauvais marabouts ne sont plus liées aux écritures coraniques : eux convoquent des mauvais génies, qu’on appelle seytaan dans les parlers locaux et qui renvoient à la figure de Satan, du diable.
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