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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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John L. Austin. © DR © iStockphoto

Série : la philo, nid d’espions

John Austin, un agent britannique au rôle déterminant

Samuel Lacroix publié le 29 septembre 2023 5 min

Éminent philosophe du langage, John Langshaw Austin (1911-1960) s’est intéressé à la façon dont les mots ne se contentent pas de décrire le réel, mais le modifient. Il s’avère que lui-même, en donnant des ordres ou prodiguant des recommandations au sein du renseignement britannique durant la Seconde Guerre mondiale, a, par ses paroles, agi en profondeur sur le cours des événements, permettant notamment de mener à bien le débarquement de Normandie ! Itinéraire d’un philosophe-espion.


 

Représentant majeur de la philosophie analytique anglaise, le Britannique John Austin a révolutionné l’analyse du langage ordinaire. Même si, mort d’un cancer du poumon à l’âge de 48 ans, le professeur d’Oxford a laissé derrière lui une œuvre assez chiche, ses deux livres (Le Langage de la perception et surtout Quand dire, c’est faire, posthume, 1962), tirés de notes, d’articles et de cours, ont marqué les esprits et continuent de nourrir de nombreux commentaires. L’idée d’un « langage performatif » – dont la fonction, à l’instar d’un « je vous déclare mari et femme » prononcé par un maire, n’est pas tant de constater ou de décrire que d’accomplir quelque chose – est certainement celle qui aura eu le plus de retentissement.

Un engagement majeur… et secret

Ce qu’on sait moins au sujet de John Austin, et qui n’est peut-être pas si étranger au tour que prendra sa philosophie, c’est qu’il a aussi été un agent des services de renseignement britanniques, jouant un rôle de tout premier plan durant la Seconde Guerre mondiale. Une réalité que vient de mettre au jour le nouveau livre de M. W. Rowe, J. L. Austin. Philosopher and D-Day Intelligence Officer (Oxford University Press, 2023).

➤ À lire aussi : Quand dire, c’est (presque) faire

Cette biographie fouillée du philosophe nous apprend en effet qu’Austin a servi dans le British Intelligence Corps, soit les unités de renseignement et de contre-espionnage britanniques, à partir de 1940 et jusqu’à la fin de la guerre. D’après Rowe, même si Austin n’en a jamais parlé – pas même à sa femme –, il n’était d’ailleurs pas un simple agent mais véritablement « l’un des officiers du renseignement militaire allié les plus importants de la Seconde Guerre mondiale ». Supervisant l’une des sections chargées d’organiser le débarquement de Normandie, lui et son équipe rendirent purement et simplement l’événement possible, veut croire l’auteur.

Un “petit empire” de “Martiens”

Dès son recrutement en juillet 1940, le philosophe travaille pour le MI14 (Military Intelligence), un département du Bureau de la Guerre britannique spécialisé dans le renseignement sur l’Allemagne, ses armées d’occupation et le profilage de ses officiers. Dans son livre, le biographe met en évidence que c’est Austin lui-même qui, dans ce service, établit que les Allemands s’apprêtaient à se rendre en Afrique du Nord en février 1941 en soutien aux troupes italiennes pour le contrôle de l’Égypte et de la Libye – un renseignement qui fut d’ailleurs négligé par les troupes britanniques sur le terrain, avec de lourdes conséquences, mais qui assura à Austin un certain crédit pour la suite.

Après l’entrée en guerre des États-Unis fin 1941, Austin est promu capitaine et quitte le MI14 pour l’Advanced Intelligence Section of General Headquarters (section des renseignements avancés de l’état-major), avec pour objectif de préparer une contre-offensive. À cet effet, il dirige une petite section de six ou sept hommes qui devient, selon les mots d’un de ses adjoints cités par M. W. Rowe, son « petit empire ». Le groupe, connu comme celui des « Martiens » prend progressivement de l’ampleur, jusqu’à compter entre 300 et 500 hommes, tout en conservant son autonomie vis-à-vis des États-Unis.

Le tournant du Débarquement

On apprend qu’il joua un rôle fondamental dans le bon déroulement du Débarquement par un travail de sape minutieux de collecte de détails géographiques sur les plages et les côtes normandes, à base d’amoncellement de cartes topographiques, de photographies aériennes et de cartes postales. Peu avant le lancement des hostilités, les Martiens distribuent ainsi un Invade Mecum, une sorte de mémo à destination de près de 10 000 officiers. Autant d’éléments qui font dire à notre biographe que les Martiens ont constitué la véritable « plaque tournante, le centre névralgique des renseignements sur l’invasion ».

À l’approche du Débarquement, qui voit se multiplier les atermoiements, les hésitations et les roulements dans la chaîne de commandement, on peut même dire, assure Rowe, qu’Austin était l’individu qui en savait probablement le plus sur ce qui allait se passer, qui avait amassé le plus de détails et d’informations et possédait la meilleure vue d’ensemble du terrain et des forces en présence. Grâce à son travail, on évalue que les pertes alliées, qu’on avait estimé devoir être d’environ 30%, ne furent finalement que de 6,6%.

Le temps de l’après

Ce n’est pas pour rien que le philosophe, promu lieutenant-colonel (pas au-delà, semble-t-il, du fait d’une certain insolence dont il était coutumier vis-à-vis de ses supérieurs), se vit remettre la croix de guerre française et décorer des titres d’officier de la légion américaine et de l’ordre de l’Empire britannique. Revenu à la vie civile, Rowe constate que son expérience a laissé des traces : fort de l’autorité qu’Austin a exercé dans l’ombre tout en étant conscient des avantages du travail en équipe, il fait fructifier ces deux aspects, organisant divers groupes de discussion tout en développant un goût pour le pouvoir et l’influence ainsi qu’une forme de sévérité et d’intransigeance qui fera notamment dire au philosophe Gilbert Ryle, son étudiant, que tout le monde en avait peur.

Toujours est-il qu’Austin nourrit à partir de là une forme de position sceptique en philosophie, conforme à l’esprit du temps, davantage méfiant vis-à-vis des grands dogmes. De fascination, également, vis-à-vis du pouvoir des mots, lui qui a en un sens pu directement éprouver l’influence du langage sur le réel : après tout, ses ordres, conseils et autres recommandations n’ont-ils pas eu un impact très direct sur le cours de la guerre, sauvant la vie de milliers d’individus ? Une certaine proximité de la philosophie du langage et du renseignement, déjà mise en exergue par Éric Rochant, le réalisateur de la série Le Bureau des légendes, dans nos colonnes, peut en tout cas être relevée : finalement, qu’est-ce que l’espionnage et le contre-espionnage si ce n’est cette action de repérer et manier des signes qui ne sont jamais à prendre littéralement mais font toujours « signe » vers autre chose ?

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