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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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© Glen Carrie/Unsplash

Je suis un pigeon

Michel Eltchaninoff publié le 16 mai 2023 4 min

La semaine dernière, Michel Eltchaninoff a été victime d’une escroquerie fort bien exécutée. Tellement bien qu’on a vidé son compte en banque. « Le tout à cause de ma crédulité », nous avoue-t-il. Mais que s’est-il donc passé ?

 

« Lundi 8 mai, alors que j’étais tranquillement en train de gratter la terre de mon jardin, j’ai reçu un appel d’un numéro que j’avais enregistré dans mon téléphone : celui du service d’opposition de ma banque. Un monsieur très poli m’a demandé si c’était moi qui avais retiré de l’argent à Marseille le matin même. J’ai répondu que non puisque je me trouvais ailleurs. Il m’a alors prié de vérifier mes débits récents sur mon application. Je me suis aperçu qu’en effet, depuis quelques jours, des achats bizarres avaient été effectués avec ma carte. Elle était piratée ! Mon interlocuteur m’a dit de ne pas m’inquiéter. Il allait bloquer mon compte et les dépenses seraient remboursées par mon assurance. Nous sommes convenus de nous rappeler le lendemain pour que je puisse, une fois de retour à Paris, recevoir une nouvelle carte bancaire. Ouf.

Mardi après-midi, le même conseiller m’appelle à l’heure prévue et m’indique la marche à suivre pour récupérer un nouveau moyen de paiement. Je dois découper ma carte bancaire dans le sens de la longueur et la glisser dans une enveloppe à mon nom. On m’envoie immédiatement un taxi, dont on me donne la plaque d’immatriculation et la compagnie. Je transmets l’enveloppe au chauffeur. Je suis toujours au téléphone avec mon interlocuteur de la veille. Il me demande enfin de lui transmettre mon ancien code secret afin de le rendre définitivement inactif, car les fraudeurs l’ont également piraté. Je m’exécute. Ouf de nouveau : je vais avoir une nouvelle carte dès le lendemain, et les achats frauduleux me seront remboursés. Je raconte à qui veut l’entendre que les services bancaires d’aujourd’hui sont formidables. Ils règlent tous les problèmes avec une telle efficacité. Une heure plus tard, je reçois un SMS de ma banque, qui me demande si je suis à l’origine d’un achat de 4 500 euros à l’Apple Store. Je réponds non, en me disant qu’il s’agit de la queue de comète de cette fraude qui dure depuis plusieurs jours.

Ce n’est que le lendemain, en attendant ma nouvelle carte, qui doit m’être livrée avant 16 heures, que je commence à douter. Et soudain, comme dans Usual Suspects ou ce genre de films où l’on comprend tout à la fin, je me rends compte que j’ai été manipulé de A à Z. Cet interlocuteur si poli et précis, ce taxi si rapide, ce code secret à donner, cet achat incongru… et ma nouvelle carte qui n’arrive toujours pas. Je me précipite pour appeler le centre d’opposition et mon conseiller bancaire. Ils considèrent que j’ai été la victime d’une escroquerie. Et m’expliquent doctement qu’il ne faut jamais donner son code secret à qui que ce soit et que je ne serai sans doute pas remboursé. Ça rassure. Après un tour au commissariat pour porter plainte – le policier m’apprend que ce genre de fraudes est la mode du moment –, je surveille mon compte en banque, qui fond à vue d’œil et passe désormais allègrement la barre du zéro. Je rentre chez moi pas très fier et annonce à mes enfants : “Je suis un pigeon.”

D’accord, je ne suis pas le seul. Depuis une semaine, mes collègues et mes amis me racontent des cas semblables ou pire encore. Les escrocs, dans mon cas, ont été doublement machiavéliques. Ce sont eux qui ont piraté ma carte à distance, puis qui ont décidé de la subtiliser par la persuasion. En leur parlant et en suivant leurs instructions, j’étais à la fois sous le coup du stress de perdre mes économies et plein de gratitude, car ce sont eux qui m’avaient prévenu et m’aidaient à sortir de ce mauvais pas. Ces deux sentiments ont anesthésié toute velléité de réflexion rationnelle. Bien joué.

Mais ce n’est pas ce qui me chagrine le plus. Je me suis laissé berner comme un idiot, c’est entendu. Non, ce qui me fait de la peine – outre celle que j’aurai si les jolis ordinateurs achetés par les aigrefins à l’Apple Store ne me sont pas remboursés –, c’est que je vais peut-être changer intérieurement. Jusqu’à maintenant, essayer de faire bon accueil à autrui faisait partie de mon éthique minimale. Je n'aime pas les relations trop formelles, et encore moins la vigilance ou la méfiance systématiques face à quelqu’un que je ne connais pas. Je ne suis pas un adepte de la confiance transactionnelle consistant à réclamer sans attendre des preuves de la bonne foi ou de l’engagement d’autrui. Je préfère, autant que j’en suis capable, laisser sa chance à la surprise et à l’avenir.

Or, depuis cette mésaventure, je me sens alourdi par un sentiment de méfiance vis-à-vis de mes semblables. Je les observe du coin de l’œil, d’un air un peu mauvais. Et pas question de sourire dans la rue ou les transports. Serais-je en train de me transformer en agent rationnel et ultra-prudent ? Inutile de vous dire que ce n’est pas mon idéal. Je me retrouve devant deux voies possibles : soit me ranger dans le camp des soupçonneux, soit redevenir un idiot qui croit à tout ce qu’on lui raconte. Mais je pense finalement que mon cri du cœur a décidé pour moi : je préfère encore rester un pigeon. Pas trop déplumé quand même… »

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