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Un supporter belge à la fin du match de Coupe du monde 2022 entre la Croatie et la Belgique, le 1er décembre 2022. © Chandan Khanna/AFP

“J’ai le seum !”

Martin Legros publié le 05 décembre 2022 4 min

C’est par cette formule – une de celles que les ados affectionnent pour exprimer leur déception – que le fils de Martin Legros a accueilli l’élimination de l’équipe belge de football du Mondial du Qatar. Qu’est-ce que le “seum” ? Et comment expliquer qu’un jeu, comme le football, puisse remuer en nous des sentiments aussi profonds que les grandes tragédies de la littérature ? Réponse avec Kendall Walton, le grand penseur du “faire-croire”.

 

« “J’ai vraiment trop le seum !”, m’a dit Simon avec tristesse et dépit après l’élimination de la Belgique. Comme moi, il nourrissait l’espoir que la génération dorée des Eden Hazard, Romelu Lukaku, Kevin De Bruyne et Thibaut Courtois permette à la Belgique de remporter, enfin, un grand trophée. J’aurais pu lui répondre : “Ne te tracasse pas, mon fils, ce n’est qu’un jeu.” Mais j’en étais bien incapable, car je partageais son ressentiment.

Qu’est-ce que le seum ? Le mot vient de l’arabe سم (“s’mm”), qui signifie “venin”, et par extension, un “vif ressentiment mêlé d’écœurement” (dixit le dictionnaire Larousse). Si cela fait au moins une quinzaine d’années que les jeunes l’emploient, le terme a gagné en popularité à la suite d’une campagne de la sécurité routière dont le clip affirmait en 2013 “Si t’as pas de Sam (le célèbre “conducteur qui ne boit pas”), t’as le seum.” Et plus récemment, ce qui l’a définitivement installé dans le paysage auprès du grand public fut, déjà, une série de défaites de l’équipe des Diables rouges contre la France. En 2018, lors de la Coupe du monde de football en Russie, alors que l’équipe s’incline de justesse en demi-finale contre les Bleus, le gardien de but belge Thibaut Courtois avait osé affirmer : “On perd contre une équipe qui n’est pas meilleure que nous, et qui ne joue pas.” Et l’image de son visage en proie à une profonde affliction en était ainsi venue à incarner l’idée platonicienne du seum.

Trois ans plus tard, en 2021, toujours face à la France, en demi-finale de la Ligue des nations, c’est après avoir mené 2-0 que la Belgique s’incline 3-2 dans les dernières minutes du match. Avec un certain sens de la formule, le journal L’Équipe titre : “Le seum, deux fois”. C’est dire si les Diables rouges ont pris l’habitude d’être associés au seum de la défaite. Or contrairement à ce que l’on pourrait croire, le seum n’a rien à voir avec le fait d’être “mauvais perdant”. Car loin de retourner contre l’Autre le venin de la défaite, en l’accusant de ne pas avoir mérité sa victoire, celui qui éprouve le seum rumine un sentiment d’injustice et de déception face à un drame beaucoup plus profond. Comme me le disait Simon, à qui je demandais ce qu’il mettait dans ce mot, “il y a du tragique dans le seum”.

Comment qualifier cette dimension tragique ? Je l’ai compris en me penchant sur un petit texte du philosophe américain Kendall Walton, spécialiste de l’ontologie du “faire croire” et auteur d’un article passionnant intitulé “Le sport comme fiction” (“Sports as Fiction”, 2009) où il compare l’émoi que peut éprouver le spectateur d’une tragédie à celui qu’éprouve le supporter d’une compétition sportive. À suivre Walton, pas plus que la mort de Roméo et Juliette, la défaite des Diables Rouges n’est un événement “réel”. Dans les deux cas, nous sommes face à une fiction réglée qui nous donne l’occasion de faire semblant que nous éprouvons des sentiments (celui de gagner ou de perdre, celui d’être confronté à l’amour et à la mort). Même si les joueurs de foot existent bel et bien, et même si une victoire ou une défaite sur le terrain peuvent avoir des conséquences réelles (des primes salariales, des trophées, etc.), pour leurs supporters qui hurlent à chaque goal ou qui sont affligés quand ils encaissent, il s’agit essentiellement de faire comme si le résultat comptait énormément – alors que ce n’est pas le cas. La vraie différence entre le match de football et Roméo et Juliette, c’est que nous pouvons donner des raisons qui expliquent pourquoi les deux jeunes amants méritent ou ne méritent pas ce qui leur arrive. C’est cela qui fait notre loyauté, ce qui soutient notre empathie à leur égard, en dépit de leurs erreurs et de leurs déboires. Alors que dans la fiction sportive, seule compte la victoire. Nous désirons que telle équipe gagne – et cette victoire, qui dépend autant du bon jeu des uns que du mauvais jeu des autres, des opportunités des uns que de la malchance des autres… est au final sans raison. “Il n’y a pas de réponse, écrit Walton, à la question de savoir si les joueurs dans un événement sportif ‘tragique’ méritent ou non le destin qu’ils rencontrent… Dans le sport, la tragédie est déterminée par le regard du spectateur-supporter.” C’est le sens profond du seum : il réside dans le regard du spectateur plus qu’il ne dépend de la prestation des joueurs. Et il tient à l’indétermination ultime du sport. C’est ce que je vais essayer d’expliquer à Simon ce soir… Mais il n’est pas sûr que cela apaise sa peine ! »

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