3. La voie du vertige

Isabelle Sorente. De quoi sexuel est-il le nom ?

Isabelle Sorente publié le 5 min

Entre l’homme et la femme, il n’y a pas que l’amour. Il y a aussi l’adoration, soit la fascination pour la violence de la sexualité.

J’avais 10 ans. Nous avons pris le métro pour nous rendre à la gare. La rame était bondée. Quelqu’un a cédé sa place à ma mère, et elle a pris mon petit frère sur ses genoux. Je suis restée debout au milieu d’une foule compacte à quelques mètres d’eux. Et puis j’ai senti quelque chose. C’étaient deux mains qui allaient et venaient le long de mon corps. Je suis restée pétrifiée jusqu’à ce que l’homme descende de la rame. Lorsque j’ai raconté ça quelques mois plus tard à ma meilleure amie, elle a compris tout de suite. Ça lui était arrivé à elle aussi, au cinéma. La main s’était posée sur sa cuisse et s’était promenée durant toute la séance. Elle non plus n’avait pas osé faire un geste.

Je suis souvent frappée par la nécessité qu’éprouvent celles qui témoignent d’un viol ou d’une agression sexuelle de préciser presque aussitôt, dès qu’elles emploient ces mots-là, qu’elles ne sont pas des victimes. Je suis d’autant plus touchée que je comprends – ou crois comprendre – d’où vient cette nécessité. Je ne suis pas une victime, cela ne veut pas dire, comme on l’interprète souvent à tort : « les victimes sont faibles et méprisables », « moi, je m’en suis sortie, je ne suis pas comme les autres ». Ce que j’entends, moi, c’est autre chose. J’entends quelqu’un qui vient de décrire, mettons, une initiation au mal, mettons, une tragédie, avec des mots qui ne sont pas ceux de l’initiation ni de la tragédie mais des mots érotiques qui rendent tout d’un coup la position intenable. Dire, je ne suis pas une victime, c’est vouloir rétablir une vérité pour laquelle soudain, les mots manquent.

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