“The Haunting Melody”: l’obsession faite chanson

Il n’est pas rare d’avoir une petite musique qui nous trotte dans la tête, lancinante, voire agaçante. Ce « vers d’oreille », comme l’appelle Peter Szendy, prend bien souvent les allures d’un tube. L’obsession faite chanson.

« Rengaines sans qualités »

C’est de ce mal qu’est frappée l’actrice Kate, l’oubli de la mélodie précise en plus. Premier symptôme : le fameux « zut, comment ça fait déjà ? » Avec ses cinq compagnons, elle est embarquée dans un projet qui n’a d’autre aboutissement que la jubilation de torturer voix, instruments et micros : l’enregistrement de la bande son d’un film d’horreur. Aux dialogues, on reconnaît la Nuit des morts-vivants de George Romero, tube cinématographique s’il en est. De ce remake chahuté naîtra une symphonie à six voix plus ou moins accordées. S’écoutent-elles ? S’entendent-elles ? Le théâtre éclot dans l’entre-deux.
 

L’actrice, dignité drapée dans un manteau de fourrure et escarpins vernis, a l’air échappé d’un Hollywood d’un autre temps. L’acteur, adolescent attardé en complet jean-cigarette-chemise-ajustée, a des renvois systématiques de chansons pop standardisées. Le réalisateur à la direction caricaturalement alambiquée – « Joue cette scène du bout de la pensée », « joue cette musique avec une nécessité radicale » - voit sans écouter. Le compositeur… à peine entend-on le bruit de ses partitions qui jonchent le sol. La chanteuse lyrique est branchée, elle, sur les tubes de l’opéra. L’ingénieur du son, enfin, enregistre, attise, se moque parfois de tous ces élans sonores mal contrôlés. Avec ses sentences bien mesurées, il est le sage de la troupe, reprenant à son compte les œuvres de Peter Szendy – notamment Tubes. La Philosophie dans le juke-box – dont s’inspire Mathieu Bauer. Les « rengaines sans qualité », il les torpille tout en les amplifiant de son micro. Tout ça pour conclure : « Vous savez comme nous sommes, nous nous protégeons de toute expérience sonore nouvelle ».

Vers d'oreille

On aurait tort de croire qu’il s’agit là d’une pièce à thèse. Le cadre du studio d’enregistrement n’est rien d’autre qu’un vaste terrain de jeu où s’entrechoquent les partitions de six vies sonnantes, souvent trébuchantes. Un  air de Tosca cogne « Music » de Madonna. « Sweetdreams » de Eurythmics rebondit sur « Paroles paroles », la chanteuse en robe lamée muée pour l’occasion en Dalida d’opérette. « Maniac » déchaine la salle : il faut dire que les surtitrages encouragent à reprendre les paroles en chœur, jusqu’à transformer le théâtre en karaoké un poil paradoxal.

The Haunting Melody est un jeu désespéré : « remet un peu de joie dans la bande-originale de ma vie », implore l’actrice… Le vers d’oreille une fois identifié, on pourrait croire Kate apaisée… Loin de là. On rit volontiers de ces fous chantant, parfois inquiétants. Mais une fois la porte du théâtre passée, on ne peut que constater que l’on a bel et bien été contaminé !