“Femme, vie, liberté”, un an après

« Dans trois jours, cela fera un an qu’une jeune femme d’origine kurde a perdu la vie parce que quelques mèches de cheveux dépassaient négligemment de son voile. Arrêtée par la police des mœurs de Téhéran le 13 septembre 2022, Mahsa Amini décède à l’hôpital trois jours plus tard, soi-disant d’une insuffisance cardiaque. Mais des photos prises par Niloufar Hamedi, une journaliste désormais détenue à la prison d’Evin, montrent une autre version : Mahsa Amini a reçu des coups d’une violence sans nom. Sa mort déclenche un mouvement révolutionnaire qui sera baptisé de son slogan principal : “Femme, vie, liberté”. Un an et des centaines de morts plus tard, que reste-t-il de ses aspirations ?

Alors qu’à l’approche de l’anniversaire de la mort de la jeune femme, les familles des victimes de la répression sont harcelées, voire arrêtées, le mouvement “Femme, vie, liberté” semble à première vue s’être essoufflé : plus de grandes manifestations ou de journées de grèves comme il y a pu en avoir l’hiver dernier. Ces événements, plutôt rares en Iran, constituent de toute façon une face visible qui cache la véritable nature du mouvement, fait de micro-résistances et d’actes individuels parfois captés seulement par un écran de téléphone portable. Dans un essai récemment paru qui prend la forme d’un journal quasi quotidien, Femme ! Vie ! Liberté ! (La Découverte, 2023), l’anthropologue et chercheuse au CNRS Chowra Makaremi parle de “micro événementialité [du] soulèvement”, d’une “révolte qui se vit comme une combustion de colère, comme une profanation et comme une contagion”.

Nous avons l’habitude de penser les révolutions comme une explosion d’un seul tenant qui marque un avant et un après dans le calendrier, avec meneurs et organisations politiques et syndicales en organes moteurs. Parce qu’il est impossible de s’organiser de cette manière en Iran, “Femme, vie, liberté” a dérouté ses observateurs. Un flot d’images parfois insoutenables a envahi les réseaux sociaux – étudiants battus, blessés par balle, femmes traînées par les cheveux dans les rues, corps pendus au bout de grues au petit matin. D’autres ont témoigné d’un élan de courage sans doute animé d’une bonne dose de désespoir : jeunes filles qui jettent leur voile dans une salle de classe, d’autres qui crient “À bas le dictateur !”, slogans tracés sur les murs des facs. Tout n’était pas vérifiable, mais la profusion de documents audiovisuels, photos, vidéos, ne pouvait attester que d’une chose : il se passe quelque chose.

Il y a quelques jours, j’ai demandé à Shirin si quelque chose avait changé dans son quotidien. Elle m’a confié que oui : “À Téhéran comme dans d’autres grandes villes, les femmes ne portent quasiment plus de hijab. Pour ma part, je ne le porte plus du tout, sauf à la fac – sinon, on ne nous laisse pas entrer.” Cela signifie-t-il que la police des mœurs est soudainement devenue plus libérale et permissive ? “Non, précise-t-elle. C’est simplement que nous sommes trop nombreuses et qu’ils ne peuvent pas arrêter tout le monde tout le temps. Ils sont dépassés et se font plus discrets… pour l’instant.”

Par la force des choses, la révolution iranienne se déroule sur un mode anarchiste, c’est-à-dire non pas dans le désordre, mais horizontalement, par capillarité et initiatives individuelles certes coopérantes, mais pas toujours concertées. Parmi ces femmes qui décident de marcher tête nue, tacitement soutenues par les passants quel que soit leur genre, il y a ce que Kropotkine identifiait comme de l’entraide : “C’est le fond de la psychologie humaine. À moins que les hommes soient affolés sur le champ de bataille, ils “ne peuvent pas y tenir’’, d’entendre appeler au secours et de ne pas répondre. Le héros s’élance ; et ce que fait le héros, tous sentent qu’ils auraient dû le faire aussi.” Le 16 septembre prochain, il n’y a encore rien de prévu. “Mais nous avons tellement hâte”, me souffle Shirin dans un message vocal. »

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