“Faut-il vraiment tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler ?”
Question de Laura Martini
Non, surtout pas ! Ce conseil adressé aux enfants avant de devenir une espèce de pseudo-sagesse populaire est franchement une très mauvaise idée. En effet, parler est la meilleure façon de penser : « Il faut parler pour avoir des idées générales », affirmait Rousseau au siècle des Lumières, avant que Hegel n’ajoute : « C’est dans le mot que la pensée fait sens. » Avant les mots, disait en substance l’auteur de la Phénoménologie de l’esprit, la pensée n’est qu’intuition confuse, vague, balbutiement ou esquisse de réflexion. Il lui faut l’aventure des mots, et plus précisément du langage articulé, pour devenir claire et prendre conscience d’elle-même. Socrate lui aussi invitait ses interlocuteurs à parler, à dialoguer pour affiner leurs pensées, corriger leurs opinions premières et élaborer leurs idées. Le sens a besoin du sensible des mots pour s’élaborer, et la relation à l’autre est décisive dans l’aventure de la pensée. C’est souvent en adressant mon idée à quelqu’un que j’en entends la limite, parfois avant même que mon interlocuteur ne la souligne. Si je ne formule pas ma pensée, à autrui en même temps qu’à moi-même, comment me nourrir des objections ou des critiques ? Tout professeur le constate : les élèves qui prennent la parole et « participent » progressent souvent plus vite que les autres, même quand leurs interventions sont imparfaites. « Tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler » véhicule un perfectionnisme déplacé, contre-productif, selon lequel il ne faudrait prendre la parole que lorsque l’on est parfaitement prêt. Mais une telle idée n’a pas de sens : on ne sera jamais prêt pour la bonne raison que c’est en parlant qu’on apprend à penser ! J’aurais donc envie de donner le conseil opposé : prenez la parole, prenez possession de votre pensée à cette occasion, découvrez vos idées au moment même où vous les formulez, risquez-vous dans l’aventure d’une prise de parole imparfaite, impréparée. N’ayez pas peur de vous tromper, de vous rectifier. Cependant, il ne s’agit pas de dire n’importe quoi, ni tout ce qui vous passe par la tête, mais plutôt d’entrer en relation, dans la danse du dialogue, d’apprendre à faire le premier pas, à parler mais tout autant à écouter. Parler, ce peut être exprimer un doute autant qu’une certitude. L’audace de la prise de parole n’interdit ni l’humilité ni la prudence.
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