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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Parc national marin de Bonaire (Caraïbes néerlandaises), 2017. Une pieuvre commune (Octopus vulgaris) en plein camouflage. © Vlad Tchompalov/Unsplash

Monde animal

Faut-il autoriser les fermes à poulpes ?

Octave Larmagnac-Matheron publié le 15 mars 2022 3 min

« La multinationale espagnole Nueva Pescanova semble avoir battu des entreprises mexicaines, japonaises et australiennes » dans « la course à la découverte du secret pour élever des poulpes en captivité, qui est entamée depuis des décennies » : c’est ce que l’on pouvait entendre récemment dans un documentaire de la BBC relayé par Courrier international. L’annonce n’a pas manqué de faire réagir les associations de protection de l’animal, qui rappellent la capacité à souffrir de ces céphalopodes exceptionnellement intelligents, et par les associations écologistes, qui dénoncent les ravages de l’élevage intensif en mer, alimentées par des farines de poissons.

Les philosophes Vinciane Despret et Peter Godfrey-Smith nous aident à comprendre tout ce que le projet a de contestable, en éclairant la manière d’être singulière de la pieuvre.

 

« Pour croire à la pieuvre, il faut l’avoir vue. Comparées à la pieuvre, les vieilles hydres font sourire. »
Victor Hugo, Les Travailleurs de la mer (1866)

 

  • L’histoire même des projets de fermes à poulpe est en soi un indice accablant de l’absurdité du projet. Cela fait en effet des années que, face à la consommation mondiale croissante, des entreprises mexicaines, japonaises, australiennes et espagnoles se livrent une âpre concurrence dans la course à l’élevage de pieuvre. Et toutes les tentatives ont, jusqu’ici, échouées. Nueva Pescanova pense aujourd’hui avoir trouvé la solution en créant des enclos en pleine mer. Il y a cependant fort à parier que cette persévérance acharnée, dont les fins sont essentiellement économiques, générera, comme les projets précédents, son lot de souffrances et se conclura par un nouvel échec.
  • Le poulpe, en effet, n’est pas fait pour la captivité. Comme l’écrit le philosophe des sciences australien Peter Godfrey-Smith dans Le Prince des Profondeurs. L’intelligence exceptionnelle des poulpes (Flammarion, 2018), « les pieuvres à l’état sauvage sont des animaux assez solitaires. On pense que leur vie sociale, chez la plupart des espèces, est minime. » Leur manière d’être tient même en grande partie à des pratiques de dissimulation, de camouflage, comme le note Vinciane Despret dans Autobiographie d’un poulpe et autres récits d’anticipation (Actes Sud, 2021). Le jet d’encre en est le signe évident. Mais cet être-camouflé est inscrit plus profondément encore dans la chair de l’animal : « Les poulpes arrivent à se confondre avec des éléments de leur milieu, leur peau peut en prendre les couleurs et en imiter les textures. » Cette « forme d’accordage des apparences au service de la sensation » lui permet de « créer des apparences intentionnelles ou, plus précisément, des apparences adressées, dans le régime des leurres. Une ruse nouvelle : se confondre avec le milieu, être vu comme un autre pour ne pas être vu comme soi ».
  • Le poulpe, animal casanier et volontiers territorial, se terrant dans des fissures et des anfractuosités, n’est pas fait pour la proximité avec ses congénères, pour cette société resserrée qu’implique l’élevage – si vaste soit la taille de l’élevage. Les tentatives précédentes ont conduit à « d’importants problèmes », à commencer par le « cannibalisme », comme l’indiquait il y a quelques mois un rapport très critique de l’ONG Compassion In World Farming. « Ces animaux sont solitaires par nature. […] Ils se sentent facilement agressés par leurs congénères. »
  • La captivité elle-même, la limitation de l’espace d’exploration qui s’offre à un animal particulièrement « curieux », constitue à n’en pas douter une souffrance. Le philosophe Stefan Linquist, que cite Peter Godfrey-Smith en témoigne, à propos des poulpes qu’il élevait en bassin pour les étudier. « Lorsque vous travaillez avec des poissons, ils n’ont aucune idée qu’ils sont dans un aquarium, dans un espace qui n’est pas naturel. Avec les pieuvres, c’est totalement différent. Elles savent qu’elles sont à l’intérieur de cet endroit spécial et que vous êtes à l’extérieur. Tous leurs comportements sont affectés par leur conscience de la captivité. » Et Godfrey-Smith de commenter : « Les pieuvres de Linquist s’amusaient avec leur aquarium, le manipulaient et le testaient. Linquist avait un problème avec les pieuvres qui bouchaient délibérément les vannes d’évacuation des réservoirs […] comme pour augmenter le niveau d’eau. Bien sûr, tout le laboratoire a fini inondé. […] Si vous avez une pieuvre dans un seau d’eau […] elle aura souvent l’air assez contente ; mais si votre attention est distraite pendant une seconde […], la pieuvre rampera tranquillement sur le sol. » Elle voudra s’échapper.

Signe, s’il en fallait, que le poulpe est un animal conscient, intelligent et sensible. Une raison qui devrait être suffisante pour ne pas se lancer dans son élevage.

Portait de Peter Godfrey-Smith, philosophe du devenir-poulpe
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