Eva Illouz : “L’amour n’est pas possible dans le confinement, il a besoin du monde”

Eva Illouz, propos recueillis par Martin Legros publié le 5 min

Les amants seraient-ils plus heureux s’ils pouvaient vivre leur histoire en toute intimité ? Eva Illouz soutient que la proximité amoureuse et sexuelle avec l’autre n’est tenable que si elle reste ouverte sur l’extérieur. 

Les mesures de confinement et de distanciation physique ont-elles troublé nos repères éthiques et affectifs ? Quand ne pas voir, toucher, aimer ses proches est la seule manière de les protéger, n’y a-t-il pas là une inversion étrange de l’éthique ? 

Eva Illouz : C’est la grande nouveauté de cette crise. La solidarité intergénérationnelle avec les personnes âgées ou vulnérables n’est pas inédite, elle fonde nos systèmes de soins ou de retraite. Mais ce qui nous était demandé, cette fois, était de prendre nos distances. En règle générale, l’éthique, c’est ce qui nous fait sortir de nous-mêmes pour aller vers l’autre. Ici, le geste éthique consiste à ne pas aller vers l’autre, à ne plus le toucher même, alors que le toucher est au fondement des rapports humains. La mise à distance qui se dessine en creux dans nos relations va poser la question de savoir ce qu’on peut exiger de l’autre en termes de risque. Imaginons que je sois plus vulnérable ou plus angoissée que mes proches. Puis-je exiger d’eux qu’ils aient le même rapport que moi au risque ? Le seul précédent à cette situation, ce sont les maladies sexuellement transmissibles, comme le sida. À l’époque, on s’était mis à exiger de l’autre qu’il mette un préservatif quand il avait des relations avec d’autres ou à vérifier son histoire sexuelle. Avec le Covid-19, la demande de précaution n’est plus circonscrite au comportement sexuel. Toute la sociabilité est touchée.

 

“Ici, le geste éthique consiste à ne pas aller vers l’autre, à ne plus le toucher”

Eva Illouz

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