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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Lors d’un rendez-vous avec la presse le 19 avril 2020, à la Maison Blanche, le président des États-Unis Donald Trump tient dans sa main un écouvillon nécessaire aux tests de dépistage du Covid-19. © Tasos Katopodis/Getty Images/AFP

Dossier/Comment avoir confiance ?

Étienne Klein-François Cassingena-Trévedy. Compagnons de doute

Étienne Klein, François Cassingena-Trévedy, propos recueillis par Alexandre Lacroix publié le 19 août 2020 8 min

Dans le dernier essai d’Étienne Klein, Le Goût du vrai, on découvre que le physicien entretient une amitié avec le moine bénédictin de l’abbaye Saint-Martin de Ligugé François Cassingena-Trévedy, auteur de nombreux ouvrages de spiritualité. Nous les avons invités à échanger sur le rôle de la confiance en science, en religion et dans nos sociétés.

 

Étienne Klein : La crise de confiance actuelle est due à des prises de parole imprudentes ou arrogantes dans l’espace public et sur Internet. Emportés par ce flux incessant, les discours sont de plus en plus démonétisés. C’est pourquoi nous devons tous lutter contre des biais cognitifs assez répandus. Au début de mon essai Le Goût du vrai, j’en cite quelques-uns, dont je rappelle les noms un peu pédants par ironie. L’ultracrépidarianisme (formé sur le dicton latin sutor, ne supra crepidam, « le cordonnier doit s’arrêter au bord de sa chaussure ») est la tendance à parler avec assurance de ce qu’on ne connaît pas. L’ipsédixitisme (dérivé du latin ipse dixit , « il l’a dit  ») est la tendance à ne pas discuter ce que disent certains maîtres. À quoi s’ajoute la tendance à se fier à son intuition personnelle, au bon sens invoqué comme une norme du vrai. Donald Trump en fournit de nombreux exemples, lui qui a souvent parlé de son « in­stinct du virus » à propos de la pandémie de Covid-19. Il a même réussi un tour de force en mêlant ultracrépidarianisme et ipsédixitisme au sein d’une seule et même phrase à propos de l’hydroxychloroquine : « J’en prends parce que je pense que ça ne peut pas faire de mal et que j’ai entendu dire de belles choses à son sujet. »

 

François Cassingena-Trévedy : Ces biais font du mal en politique mais également en religion, où la crédulité, la foi aveugle dans la parole des dignitaires, les mouvements charismatiques, la mode des miracles et des apparitions, les dérives sectaires, le fanatisme génèrent beaucoup de dégâts…

 

É. K. : Je précise que je vous ai découvert, François, à travers la chronique que vous teniez dans la revue jésuite Études, à laquelle je suis abonné, et que j’ai toujours été sensible à votre liberté d’esprit très courageuse, notamment sur les questions sociétales.

 

F. C.-T. : J’avoue être réservé sur certaines prises de position tapageuses, et je pense que ces maux que vous dénoncez sont dommageables. Comme vous, je souhaite prendre la défense de la recherche de la vérité. Nous gagnerions beaucoup à réactiver le précepte d’Anselme, fides quærens intellectum, à faire l’éloge d’une « foi qui cherche à comprendre ». Tout l’enjeu est d’aider les croyants à se délivrer de leur trop-plein de certitudes et à prendre conscience de l’incertitude radicale de l’homme. Il s’agit de passer de la doxa, de l’opinion et du préjugé religieux, à l’interrogation et à la reconnaissance de cet immense inconnu qui demeure et qui appelle à la fois notre admiration et notre contemplation. Ce qui m’inquiète, c’est qu’on ait aujourd’hui un Dieu qui s’endurcit en certitudes. Bien des choses qui nous arrivent actuellement ont leur source dans la peur de l’inconnu. Si la religion n’est qu’une pilule de réconfort contre l’inconnu, alors elle est inutile et malsaine.

 

É. K. : Pour ma part, je ne suis pas scientiste, car je suis conscient que les sciences ne répondent qu’aux questions scientifiques ! Or celles-ci ne représentent qu’une toute petite partie des questions que nous nous posons, liées à nos valeurs, à l’amour, à la justice, à la liberté, à la façon de vivre ensemble. Les questions scientifiques sont formulées de manière plus rigoureuse. En physique des particules, ce serait : d’où vient que l’antimatière, qui était présente dans l’univers primordial, a fini par disparaître ? Le neutrino est-il identique à sa propre antiparticule ? Il est assez évident que les réponses, une fois connues, n’aideront guère à trancher les questions restant en dehors du champ scientifique. Ma crainte, c’est qu’au motif que les sciences ne répondent qu’aux questions scientifiques, nous les délaissions ou relativisions leurs résultats. Nous risquons alors de nous retrouver avec un espace public où s’affronteraient de simples opinions. Au début de la crise du Covid-19, des gens sans expertise aucune donnaient leur avis à tort et à travers, sans même prendre la précaution de parler au conditionnel. Dans un sondage paru le 5 avril dernier, on demandait aux Français si l’hydroxychloroquine était un traitement efficace contre le Covid-19 : 59 % des personnes interrogées ont répondu oui, 20 % non ; seuls 21 % ont déclaré qu’ils ne savaient pas. Alors même qu’aucune étude thérapeutique n’était encore disponible !

 

“En tant que chrétien, je ne crois pas seulement en un dogme ni en une institution, mais en une parole vivante”
François Cassingena-Trévedy

 

 

F. C.-T. : Ici, il peut être éclairant de faire un détour par l’étymologie. Le terme de confiance a une racine commune avec celui de foi. En effet, la confiance vient du latin confidere, mot composé de fides, qui a donné foi en français. Or fides est un mot typiquement latin, qui a une histoire intéressante. Dans la Rome antique, la fides est un terme de droit international : elle désigne la bonne foi du peuple romain, au nom de laquelle il pouvait engager des relations diplomatiques avec les autres nations. La fides était donc d’abord politique avant d’être éthique et religieuse. Lorsque les Romains évoquaient la foi dans leurs dieux, ils n’entendaient pas par là une relation dogmatique au divin mais, au contraire, une disposition de loyauté permettant de vivre en bonne entente avec les dieux. La fides est donc un enjeu de relations sociales entre les hommes et avec les dieux. Avec le christianisme, elle prend un sens différent, elle devient exclusive : on ne peut plus croire certaines choses sans en rejeter d’autres. La foi est liée à un credo, un « je crois », un engagement baptismal par lequel on entre dans une communauté. La foi chrétienne présente une dimension objective – un contenu, des vérités auxquelles on adhère – et une dimension subjective – et c’est là qu’intervient la confiance. En tant que chrétien, je ne crois pas seulement en un dogme ni en une institution, mais en une parole vivante. Le déclencheur de ma foi, c’est l’homme Jésus. Mais les dogmes et les institutions ne m’intéressent que parce que, dans leur voisinage, il y a des parleurs vivants, des témoins. Et ça, c’est la dimension de la confiance qui nous ramène à une relation proprement humaine sans laquelle la foi n’a aucun intérêt.

 

© Dyod photography/Opale via Leemage
Étienne Klein. © Dyod Photography/Opale via Leemage

 

“Les scientifiques croient en des processus contrôlés par une communauté”
Étienne Klein

 

 

É. K. : En science, la confiance a un statut assez différent, car il ne s’agit pas d’avoir confiance en une personne ou un témoignage vivant, mais plutôt en des processus contrôlés par une communauté que cela intéresse de près. Comme le disait justement Karl Popper [1902-1994], les sciences progressent par « la coopération amicalement hostile des citoyens de la communauté du savoir ». Les scientifiques eux-mêmes ne sont pas spécialement vertueux, ni spécialement objectifs, mais leurs méthodes sont censées réduire les effets de leur subjectivité. Bien sûr, la méthodologie s’adapte aux objets étudiés. En mathématiques, la confiance se forme peu à peu par la fréquentation de théorèmes de plus en plus sophistiqués. On étudie le théorème de Pythagore, qui admet plusieurs types de démonstrations, et une fois qu’on en a saisi une, on ressent une sorte d’émerveillement d’avoir pu démontrer qu’un certain énoncé est « vraiment vrai ». Puis on comprend que le théorème de Pythagore n’est vrai qu’en géométrie plane et pas dans les géométries courbes… En physique, on se fait la main en chronométrant la chute de corps, en bricolant des circuits électriques. Mais prenez l’existence du boson de Higgs considérée comme démontrée depuis 2012. Il n’est guère de physiciens qui pourraient refaire les expériences dans leurs labos. Donc là encore, ils doivent avoir confiance, en l’occurrence dans les résultats et les analyses publiés par leurs collègues. D’ailleurs, une telle découverte n’a guère suscité de controverses, et personne n’est venu la contester en publiant « Ma vérité sur le boson de Higgs » ! Mais quand un résultat de science dérange, c’est une autre affaire… 

 

F. C.-T. : C’est le cas du réchauffement climatique, sujet qui nous tient à cœur à tous deux.

 

É. K. : Exactement ! Je n’ai rien contre le scepticisme, c’est une position philosophique défendable. Mais ce qui m’intrigue chez certains climatosceptiques, c’est que leur scepticisme est très sectoriel. Ils ne doutent pas de la science proprement dite, seulement d’un certain type de résultats qu’elle produit. Cependant, nous avons là un problème passionnant, car les rapports du Groupe intergouvernemental de recherche sur le climat [Giec] évoquent eux-mêmes des incertitudes. D’abord, il y a des incertitudes liées aux modèles eux-mêmes et aux simulations : le climat est un phénomène complexe de sorte que tout n’est pas connu. Mais il y a d’autres incertitudes qui proviennent de ce que l’évolution du climat dans le siècle à venir dépendra de l’action des humains, notamment de la manière dont les Accords de Paris seront appliqués. Dès lors, comment prévoir ce qui va se passer si ce qui va se passer dépend de ce que nous allons faire ? C’est pourquoi le Giec étudie différents scénarios aux effets plus ou moins graves. Reste qu’il n’est plus raisonnable de douter de la réalité du changement climatique, ni du rôle qu’y joue l’activité humaine : c’est son amplitude qui demeure discutable, pas son existence.

 

© Claude Pauquet/Agence VU
François Cassigena-Trévedy. © Claude Pauquet/Agence VU

 

F. C.-T. : Nous abordons là un domaine qui touche aussi à ce qu’on appelle l’eschatologie ou le discours sur les fins dernières. Notre civilisation a longtemps vécu avec une eschatologie extrinsèque ou hétérogène, c’est-à-dire que le cours de l’Histoire était présenté comme dirigé par une instance transcendante. Le scénario traditionnel, largement nourri de l’Apocalypse, montre un Dieu souverain imposant sa fin au monde. Au XXe siècle, avec Hiroshima et la menace atomique, se met en place une eschatologie intrinsèque, politique, idéologique. Désormais, l’eschatologie n’est même plus idéologique mais intramondaine, issue du réchauffement climatique, de l’effondrement de la biodiversité, de la crise écologique. Ce que nous avons à penser, c’est une fin du monde qui ne vient donc pas de Dieu mais de l’homme. Dans ces conditions, il est vital pour l’homme d’avoir un au-delà de soi, à sa mesure, et de le partager. C’est là que je souhaiterais renouer avec l’idéal de la cité. L’humanité doit conserver le désir de vivre dans la perspective d’une construction commune. Je pense que les bonnes réponses ne viennent aujourd’hui ni de l’écologie politique ni du catastrophisme, mais d’une prise de conscience de l’espace de nos responsabilités.

 

É. K. : Ce que vous dites s’applique à la confiance et à la vérité dans le domaine de la religion, ce que je dis concerne le domaine des sciences. Mais il n’y a pas là d’opposition frontale entre les deux. Foi et savoir relèvent de discours le plus souvent parallèles, qui n’ont pas vocation à converger. L’un des reproches qui est fait couramment à la science moderne, c’est qu’elle serait à l’origine de la crise écologique. Ce serait parce que, à la suite de Descartes, nous avons voulu nous rendre comme « maîtres et possesseurs de la nature », que la planète serait dévastée ! S’en tenir à cette dénonciation serait simpliste. La science moderne a certes une responsabilité, car elle nous a invités à considérer que la nature était à notre seule disposition. Mais aujourd’hui, seules les sciences, mises ensemble, peuvent nous aider à comprendre comment nous déstabilisons les équilibres naturels, comment nous provoquons le changement climatique et quels sont les seuils à ne pas franchir si nous voulons que la planète demeure habitable. Nous devons certes fermement résister aux ivresses de l’hybris existentielle mais sans renoncer à développer nos connaissances ! 

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