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(cc) Wikipedia Commons / Rufus

Société / Droit

Est-il immoral de déshériter ses enfants ?

Ariane Nicolas publié le 14 mars 2018 4 min
La succession de Johnny Hallyday donne lieu à une bataille, mêlant le droit aux sentiments, la justice et la famille. En philosophie, une longue tradition questionne les droits de succession comme outil de redistribution, légitimes ou pas. Mais peut-on vraiment déshériter ses enfants ? De Montesquieu à Robert Nozick en passant par Bakounine, panorama.

Il n’est pas immoral de déshériter ses enfants

Montesquieu (1689-1755)

Aux États-Unis, où vivait le couple Hallyday une partie de l’année, déshériter ses enfants n’a rien de scandaleux, à partir du moment où ils sont majeurs. Le droit s’inscrit en effet dans une tradition libérale qui consacre la propriété de soi et de ses biens comme des valeurs cardinales. Chacun est libre de disposer des fruits de son travail comme il l’entend, pendant sa vie mais aussi après sa mort, nous dit John Locke. Une personne peut ainsi déshériter un ou plusieurs de ses enfants, léguer sa fortune comme bon lui semble ou tout dilapider avant de passer l’arme à gauche.

Montesquieu, un des pères fondateurs du libéralisme, n’y voit rien à redire : « La loi naturelle ordonne aux pères de nourrir leurs enfants, mais elle n’oblige pas de les faire héritiers » (L’Esprit des lois, 1748). Une fois l’enfant devenu adulte, il doit pouvoir voler de ses propres ailes… Ce qui ne veut pas dire que les sociétés ne peuvent pas lui accorder davantage de droits si elles le souhaitent : « Le partage des biens, les lois sur ce partage, les successions après la mort de celui qui a eu ce partage : tout cela ne peut avoir été réglé que par la société, et par conséquent par des lois politiques ou civiles. » D’où des divergences sur la question entre la France et les États-Unis, deux démocraties pourtant dites « libérales ».

 

Les enfants ont le droit de réclamer un héritage 

Le Code civil (1804)

Si la France n’a pas fait les mêmes choix législatifs que les États-Unis, c’est qu’elle ne suit pas la doctrine libérale (héritée des Lumières) à la lettre. Notre pays a également une tradition catholique, qui accorde une place singulière à la famille dans le tissu social. Rousseau lui-même considère que la famille est « la plus ancienne de toutes les sociétés, et la seule naturelle ». Pour lui, c’est ni plus ni moins « le premier modèle des sociétés politiques : le chef est l’image du père, le peuple est l’image des enfants » (Du contrat social, 1762).

Le droit français suit cette conception, où s’entremêlent religion, patriarcat et coutumes centenaires. La « réserve héréditaire » favorable aux enfants, prévue à l’article 912 du Code civil (adopté en 1804), est une survivance de cette préférence accordée traditionnellement aux descendants. « La loi, pour déterminer les héritiers, suit les affections présumées du défunt », résume Martha Peguera-Poch dans Aux origines de la réserve héréditaire du Code civil (Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2009). Qu’il existe un testament ou pas, la filiation prime. D’ailleurs, si un enfant renonce à la succession d’un parent, ses propres enfants (donc les petits-enfants du défunt) peuvent recevoir cette part de patrimoine.

 

 

L’héritage marque des liens affectifs avérés

Robert Nozick (1938-2002)

Si la France « suppose » que les liens d’affection lient à jamais un parent à son enfant, c’est aussi qu’elle reconnaît l’importance symbolique de l’héritage. Lors d’une succession, on ne transmet pas seulement de l’argent, un patrimoine immobilier – ou des dettes. « Le fait de léguer quelque chose aux autres témoigne de l’affection que l’on a pour eux et cela intensifie ces liens. Cela marque également, voire crée, une identité plus étendue », estime le penseur libertarien Robert Nozick (La Vie examinée, 1989).

En tant libertarien, promoteur du self-made man, Robert Nozick devrait être contre toute forme de privilège à la naissance, et donc contre l’héritage. Mais il lui accorde une importance symbolique. Seulement, il n’y a pas de droit à hériter mais un droit de transmettre : « Seul le donateur a gagné le droit de marquer ses liens relationnels via l’héritage. » C’est pourquoi Nozick plaide pour un droit des successions hybride. Le parent aurait le droit de donner à la personne de son choix (famille, ami ou autre) ; à la mort du bénéficiaire, le bien serait redistribué à la collectivité ou remis sur le marché.

 

 

L’héritage est immoral par essence

Mikhaïl Bakounine (1814-1876)

La tradition anarchiste n’a pas toujours été aussi tendre avec les héritiers. Un de ses penseurs les plus marquants, Mikhaïl Bakounine, défend une conception radicale de l’héritage : sa suppression pure et simple. « La justice, autant que la dignité humaine, exigent que chacun soit uniquement le fils de ses œuvres, écrit-il. L'héritier d'une fortune quelconque n'est plus entièrement le fils de ses oeuvres et, sous le rapport du point de départ, il est privilégié » (Catéchisme révolutionnaire, 1865).

Le point de vue moral rejoint ici la doctrine sociale. Si l’individu ne doit être que le produit de ses talents et de son effort, alors il serait injuste que l’héritage soit garanti par un Etat, même en étant fortement taxé. « Tout privilège est une source d'immoralité », poursuit Bakounine. Selon lui, parents et enfants sortiraient grandis d’un système exempt d’héritage, car la richesse pervertit le rapport entre les deux générations : « L'amour des parents pour leurs enfants est raisonnable et aspire non à leur vanité mais à leur humaine dignité. »

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