Enfanter dans la douleur, est-ce apprendre à mourir ?
Alors que la question de la dénatalité fait débat, on s’interroge trop peu sur l’expérience concrète de la mise au monde, et sa douleur inhérente. Redoutée, annihilée, idéalisée : que nous dit la douleur de l’accouchement ? La philosophe Audrey Jougla s’inspire de sa propre expérience pour interroger les justifications de la douleur. Et propose une thèse inédite : si certaines femmes sont prêtes à tant souffrir pour enfanter, c’est que pour donner la vie, il faut peut-être d’abord vaincre la mort.
Une douleur évitable
La citation de la Genèse est bien connue. Comme conséquence du péché originel, Dieu dit à la femme : « Je multiplierai tes souffrances, et spécialement celles de ta grossesse ; tu enfanteras des fils dans la douleur » (Genèse 3:16).
C’est par le châtiment divin que l’on a pu pendant longtemps expliquer et même justifier la souffrance de l’accouchement, sans doute pour lui donner un sens. Le Coran inscrit cette douleur comme gage de respect de la figure maternelle : « Nous avons recommandé à l’homme d’être bienveillant envers son père et sa mère. Sa mère le porte dans la douleur et le met au monde dans la douleur… » (Coran 46:15).
Innommable, indescriptible, inimaginable : c’est par ces adjectifs qui disent l’impossible qualification, que l’on décrit souvent la douleur d’un accouchement. Cette douleur si puissante est pourtant commune, au sens de partagée comme au sens de courante, dans l’histoire de l’humanité.
La douleur tant redoutée de l’enfantement est désormais devenue optionnelle dans beaucoup de pays occidentaux depuis les années 90, grâce à l’intervention d’une anesthésie péridurale, qui endort le bas du corps. De sorte qu’il revient à la femme (la parturiente) de décider si elle souhaite ou non donner naissance en faisant l’expérience de cette douleur. Pourquoi choisir de souffrir ? Qu’a-t-on à apprendre en faisant cette expérience, presque initiatique ?
Sentir pour savoir : la douleur comme guide
Pourquoi souffrir autant ? Cette question est d’autant plus prégnante que subir la douleur peut être choisi délibérément aujourd’hui. Le choix présuppose qu’il y ait bien des avantages à continuer d’enfanter dans la douleur.
La première raison vient de l’utilité de la douleur, terme que Julie Bonapace, qui a popularisé la méthode de préparation qui porte son nom, préfère remplacer par « sensations », lesquelles ont une raison d’être. Dans son étymologie, l’anesthésie est précisément la suppression des sensations (du grec aísthêsis, αἴσθησις, et du préfixe privatif an-) avant d’être la suppression de la douleur, ce qui suppose que l’on prive le patient d’une faculté perceptive.
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