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© Kaspars Eglitis/Unsplash

Éloge de la commère

Octave Larmagnac-Matheron publié le 27 février 2023 3 min

Il y a quelques jours, alors que notre journaliste Octave Larmagnac-Matheron interrompait la journée peinture de ce qu’il pourra bientôt appeler son nouveau chez-lui, pour se mettre en quête d’acétone, une femme d’une cinquantaine d’années guettant les allées et venues à sa fenêtre du rez-de-chaussée l’interpelle au bout de la rue…

 

« C’est la première voisine que je rencontre (dans un accoutrement improbable, et qui plus est couvert de peinture – j’aurais préféré être plus présentable). Vous l’aurez peut-être deviné : c’est la commère du quartier, et son talent incomparable pour se montrer au moment exact où vous passez.

Si je me permets de la qualifier d’un terme d’ordinaire assez peu flatteur, c’est avec une sincère bienveillance. Sans doute la commère a quelque chose d’un peu intrusif. Alors que je rentre, bredouille, la voilà qui m’emboîte le pas et rentre carrément chez moi sans y avoir été vraiment invitée, complimentant les travaux et la couleur du parquet tout en égrenant quelques ragots. Elle doit me remettre la clef de la contre-allée partagée avec la maison d’à côté, que l’ancienne propriétaire ne m’a pas remise, mais préfère venir sur place car elle n’est plus tout à fait sûre de laquelle est la mienne, sur son trousseau démesuré dont je suppose qu’il peut ouvrir toutes les portes de la rue. Elle n’est pas, officiellement, la gardienne de notre petite co-propriété de sol, mais elle semble en assumer certaines prérogatives. Elle garde bien quelque chose, du haut de son quart de siècle passé dans sa petite maison du bout de la rue.

Sa présence me donne immédiatement l’impression joyeuse d’avoir atterri dans un village – *weyḱ-, en proto-indo-européen, dont découle le terme voisin. La potinière est la voisine au sens peut-être le plus originel du mot. Tous les hommes, sans doute, ont formellement des voisins : la vie humaine est presque impossible dans l’absolue solitude. Mais la simple juxtaposition ou l’empilement des existences privées ne fait pas encore, à mon avis, le voisinage. Le voisinage, comme le note Heidegger, procède d’une “proximité” qui n’est pas simplement spatiale mais met en jeu la co-appartenance à une “dimension”, à une “contrée”, à un monde commun de significations et d’histoires. Si j’utilise, pour désigner ma voisine, le mot de “commère”, c’est qu’il m’évoque par homophonie cette idée de commun. Les ragots de la commère, si anodins (ou même pénibles) qu’ils paraissent, participent de la constitution d’un commun enraciné dans la parole, dans un logos qui, comme le remarque encore Heidegger, consiste d’abord en un legein, un “rassembler”.

C’est en m’adressant la parole que ma voisine du bout de la rue m’a introduit à cette communauté de sens formée par nos petites maisons alignées. Elle a joué très littéralement pour moi le rôle d’un intercesseur, d’un vicaire – du latin vincio, “lier” – dont je ne peux m’empêcher de penser, probablement à tort, qu’il n’est pas sans parenté étymologique avec vīcus, “quartier”, qui a donné le mot voisin. Je trouve en tout cas le terme particulièrement adapté pour un pâté de maisons ouvrières édifié en 1931 par un entrepreneur qui, lorsqu’il donna son nom à la rue, se vit accoler l’épithète de “saint”. J’ai trouvé, sur eBay, deux photos des lieux d’une décennie postérieure à la construction. Ma voisine n’y habitait pas encore, évidemment. Mais à sa manière, par la mémoire qu’elle entretient, elle contribue à tisser, sans fin, l’écheveau des récits qui constituent désormais la trame de nos existences tressées.

Cet espace de co-existence a ses exigences propres. Notre propriété a pour envers une dépropriation. Nous habitons, au sens strict, un vicus, un voisinage fait de propriétés en leur être entrelacées de voies et passages vicinaux. Assis dans ma cour, perdu dans mes divagations étymologiques, je me prends à penser que le figuier dont j’ai hérité, qui pousse dans la plate-bande, est un hasard heureux : ne pourrait-on pas imaginer que son nom latin, ficus, ait quelque rapport avec ce vicus qui est désormais le mien sans l’être exclusivement ? »

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