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© Matthieu Deluc pour PM

Gender studies, mauvais genre?

Cédric Enjalbert publié le 29 janvier 2014 5 min
Une rumeur nourrie par une frange de militants conservateurs met en garde les parents d'élèves contre “l'enseignement obligatoire de la théorie du genre” à l'école. Cette rumeur n'a d'autre fondement que la peur du désordre social et moral. Mais pourquoi la prétendue “théorie du genre” sert-elle ainsi d'épouvantail?

« Le choix est simple: soit on accepte la “théorie du genre” (ils vont enseigner à nos enfants qu’ils ne naissent pas fille ou garçon, mais qu’ils choisissent de le devenir !!! Sans parler de l’éducation sexuelle prévue en maternelle à la rentrée 2014 avec démonstration...), soit on défend l’avenir de nos enfants. »

Voici le message reçu par des parents d’élèves sur leur téléphone, appelant au « boycott scolaire » le lundi 27 janvier 2014, en retirant leurs enfants de l'école pour protester contre « l'enseignement obligatoire de la théorie du genre » dès l'école primaire. L’enseignement de la « théorie du genre à l’école » ? Une rumeur. Elle enfle depuis qu’un « ABCD de l’égalité », a été mis en place par l’Éducation nationale à la rentrée dans plusieurs académies, afin de lutter contre les stéréotypes filles-garçons. Elle est avivée par des opposants à la supposée « théorie » du genre, des extrémistes ragaillardis depuis les débats autour du mariage pour tous, l’an passé.

Mais pourquoi la « théorie du genre » sert-elle d'épouvantail?

 

Parce qu'elle défendrait une idéologie ?

FAUX. Contrairement à ce que ces extrémistes conservateurs veulent faire croire, et comme l’appellation anglaise le signifie, les gender studies sont un domaine d’étude et non une « théorie » au service d’une idéologie. Cette discipline de sciences humaines est une « catégorie utile d’analyse d’historique », selon Joan Scott, l’une des pionnières de ces recherches aux États-Unis.

Elle le montre dans De l’utilité du genre, (Fayard, 2012) : les études sur le genre rappellent que la féminité et la masculinité sont des normes culturelles sujettes à des variations historiques. Les études sur le genre identifient en effet « des rapports sociaux fondés sur des différences perçues entre les sexes », ainsi qu’une « façon première de signifier des rapports de pouvoir ».

Nées d'une première distinction faite entre le genre et le sexe par des médecins travaillant sur l'hermaphrodisme et le transsexualisme dans les années 1950, ces études ont certes été reprises par des mouvements féministes dans les années 1970. Ces mouvements se sont servis de la distinction faite par les médecins pour dénaturaliser la différence des sexes et s'extraire de l’ordre conservateur imposé aux femmes. Mais les études sur le genre ne sont pas des études sur les femmes et n’ont pas, en soi, d’objectif idéologique ni d'opinion politique.

Lire l'histoire du concept par Éric Fassin:
“Le genre, bon à penser” >>

 

Parce qu’elle prône l'indifférence des sexes ?

FAUX. Les études sur le genre ne nient pas la différence des sexes. « Mais dire ces différences ne suffit pas, il nous faut aussi les spécifier », poursuit la philosophe Judith Butler, figure de proue des gender studies, auteur de Trouble dans le genre (2005, La Découverte). Elle démontre ainsi que:

« d’une part, notre “genre” ne suit pas nécessairement notre sexe biologique ; d’autre part, notre désir n’épouse pas nécessairement ce “sexe”, ni même ce “genre”. Quelqu’un peut être mâle au niveau biologique, être “genré” comme une femme, et avoir un désir homosexuel, hétérosexuel, bi ou a-sexuel. Dans la vie ordinaire, les gens ont tendance à penser que la masculinité et la féminité sont hétérosexuelles, et qu’elles exprimeraient une “vérité” biologique mâle et femelle. J’ai voulu casser ces “lignes causales” entre sexe biologique, identité et pratique sexuelle. »

Non, la prétendue « théorie du genre » ne fait pas la promotion de l’homosexualité, de la bisexualité et la transsexualité, qui n’entreront d’ailleurs pas « dans tous les programmes scolaires »…

 

Parce qu’elle démonte les rapports de pouvoir ?

VRAI. La philosophe Elsa Dorlin le souligne, les gender studies ont une portée subversive, qui a des raisons d'effrayer les tenants d'un ordre archaïque : « Certains décrivent avec anxiété les signes avant-coureurs de l’émasculation des hommes et de la virilisation des femmes. Cette idée paranoïaque, secrètement liée aux thèses racistes sur la fin de l’Occident (symbole de la virilité grandiose, conquérante), est un piteux cache-sexe du refus de l’égalité : ce que l’on craint ici, c’est simplement le renversement de l’ordre sexuel traditionnel. Cette idée a tout de même un intérêt : elle montre que la différence des sexes n’est pas avant tout une donnée naturelle, mais un rapport de pouvoir. »

De fait, comme le montre Éric Fassin, le genre est une norme et « un langage politique. Féminiser l’autre, fût-il de sexe masculin, n’est-ce pas marquer une domination ? ». Et Judith Butler de conclure: « La subversion n’est ni une valeur ni une fin en soi. Mais elle permet de travailler sur les normes, ou de jouer avec elles, et de rendre ainsi la vie plus vivable. »

Et oui, c’est aussi l'un des rôles de l’Éducation nationale que d'enseigner l'égalité hommes-femmes. Cette disposition est prévue par la loi depuis 1989 dans l'article L. 121-1 du code de l'éducation : « Les écoles, les collèges, les lycées et les établissements d'enseignement supérieur sont chargés de transmettre et de faire acquérir connaissances et méthodes de travail. Ils contribuent à favoriser la mixité et l'égalité entre les hommes et les femmes [...Ils] assurent une mission d'information sur les violences et une éducation à la sexualité. »

 

Parce qu’elle dépasse la distinction homme/femme ?

VRAI. Judith Butler, comme Elsa Dorlin ou Joan Scott, ouvre la voie :  « S’il y a bien une matérialité du corps – cela n’est pas remis en question –, nous n’avons jamais accès à ce corps en dehors de la construction d’un certain esprit. Le terme même de “différence des sexes” suggère que l’humain en tant que tel est nécessairement divisé entre masculin et féminin. Je crois qu’il faut justement s’interroger sur la façon dont cette dualité morphologique, ce “dysmorphisme” sexuel, a été développée dans l’histoire comme un idéal. Il s’agit de s’interroger de façon critique sur ce que c’est qu’être et devenir une “femme” ou un “homme”, et de se demander si ce sont les seules possibilités que nous avons. Peut-on devenir autre chose ? »

Devenir autre chose? Et pourquoi pas. Les Suédois ont déjà la possibilité d’employer le pronom « hen », lorsqu’ils ne veulent dire ni il ni elle, tandis que l’Allemagne est le premier pays européen à avoir reconnu un troisième genre, le 1er novembre 2013.


 

Pour aller plus loin
Lire Trouble dans le genre de Judith Butler (La Découverte, 2005) et  De l’utilité du genre de Joan Scott (Fayard, 2012)
Voir le documentaire diffusé sur Arte le vendredi 7 février 2014 à 23h10: « Il, elle, hen. La pédagogie neutre selon la Suède ». Une immersion auprès des enfants et des éducateurs d'une école maternelle de Stockholm qui applique une pédagogie singulière destinée à neutraliser les stéréotypes de genre.
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Le dossier: « Hommes-Femmes : la confusion des genres »
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L'analyse d'Éric Fassin: « Le genre, bon à penser »
La projection d'Elsa Dorlin: « Et si … la différence des sexes n’existait plus ? »
Le portrait de Judith Butler:  « En eaux troubles »

 

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