“D’où vient cette énergie quand je danse ?”

Peut-être avant tout de votre corps, de vos muscles, enfin capables de dire à votre tête de penser un peu moins, ou de penser juste assez pour pouvoir constater que c’est bon, et même sacrément bon. La musique, grâce à son rythme qui rappelle probablement des rythmes naturels, grâce à la mélodie qui éveille notre âme et nous donne des émotions, a ce pouvoir de réveiller cette énergie de vie que nous avons en nous. À cela s’ajoute que nous dansons le plus souvent ensemble, en nous tenant, en nous touchant ou en étant réunis sur le même dancefloor : l’énergie vient donc aussi des autres ; elle circule entre nous, grandit en passant d’un corps à l’autre, d’un sourire à l’autre. C’est la joie d’être ensemble, parfois même dans l’oubli des barrières sociales ou culturelles, comme par exemple dans les premières raves des années 1980. Enfin, cette énergie vient peut-être du monde lui-même, de la vie elle-même. Danser, c’est « se lâcher », au double sens du terme : y aller à fond mais aussi s’oublier, renoncer à son petit ego, s’abandonner… Bref, ne plus être soi et se laisser traverser par une énergie qui nous déborde, qui n’est donc pas « uniquement » la nôtre. Ces différentes réponses sont bien sûr compatibles : cette énergie est celle de notre corps, de notre être-ensemble, de la vie elle-même. On comprend pourquoi, dans toutes les cultures, la musique et la danse sont associées au sacré. 

Dans son livre Pourquoi la musique ? (Fayard, 2015), Francis Wolff montre que la musique a le pouvoir étrange de nous faire bouger mais sans aller nulle part et d’exprimer des choses infinies mais sans les dire : « Elle nous transporte. Nulle part. Mais puissamment. » Preuve, s’il en est, que nous n’avons pas besoin de but pour nous mettre en mouvement : voilà un enseignement qui, à lui seul, me semble de nature à nous donner de l’énergie ! Quand nous sommes fatigués, il est difficile de penser, de travailler… Mais l’énergie revient rapidement quand la musique est bonne et que nous nous mettons à danser. Peut-être est-ce parce que, dans la musique, nous retrouvons notre vérité première, ce qui peut s’entendre au sens métaphysique – la vérité originelle relève, selon Friedrich Nietzsche, d’une musique primordiale, comme celle, par exemple, de notre vie intra-utérine : notre monde, alors, n’était que rythmes et sons… 

“Pourquoi les Grecs parlent-ils du juste milieu comme d’un sommet ?”

Question de Benoît Fruchaud

Parce qu’ils parlent du sommet de la vertu humaine, de ce que c’est qu’être pleinement, parfaitement humain. Or cet art-là exige un sens de la mesure : il faut savoir viser juste, à égale distance de deux excès. Aristote prend l’exemple du courage. Être vraiment courageux, atteindre donc le sommet du courage, c’est être aussi peu téméraire que lâche, se tenir à égale distance de l’excès de la témérité et de cet excès symétrique qu’est la lâcheté. L’exigence est telle qu’elle relève d’un sommet – d’un sommet éthique. Concevoir ainsi la vertu comme mesotes, comme « juste mesure », protège de tous les excès de la vertu : on a si souvent tué en son nom qu’un peu de « juste milieu » ne nous fera pas de mal…