Aller au contenu principal
Menu du compte de l'utilisateur
    S’abonner Boutique Newsletters Se connecter
Navigation principale
  • Le fil
  • Archives
  • En kiosque
  • Dossiers
  • Philosophes
  • Lexique
  • Citations
  • EXPRESSO
  • Agenda
  • Masterclass
  • Bac philo
 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
rechercher
Rechercher

© Meyer / Tendance Floue

Rencontre

Déni de grossesse

Elselijn Kingma, propos recueillis par Octave Larmagnac-Matheron publié le 26 août 2021 14 min

La philosophie s’intéresse très peu à la naissance, et encore moins à la gestation. Elselijn Kingma a choisi d’en faire son objet d’étude. À la croisée des sciences, de la phénoménologie et de sa propre expérience, sa pensée définit le fœtus comme partie biologique de la mère. 

 

La naissance est la grande oubliée de la tradition philosophique occidentale, plus préoccupée par le départ vers l’au-delà que par l’entrée ici-bas, ainsi que l’affirme Hannah Arendt dans Condition de l’homme moderne (1958). Et si cet oubli, que la philosophe s’efforce de corriger, en cachait un autre qui s’enfonce dans l’ombre au moment même où la « natalité » entre dans la lumière : l’oubli de la grossesse ? De femme enceinte, il n’est jamais question ou presque. L’instant de la naissance oblitère les neuf mois qui le précèdent, le préparent et le rendent possible. La naissance est en effet « le miracle qui sauve le monde, le domaine des affaires humaines, de la ruine normale, “naturelle”, écrit Arendt. C’est la naissance d’hommes nouveaux, le fait qu’ils commencent à nouveau, l’action dont ils sont capables par droit de naissance. » Au sens littéral, la natalité est surnaturelle : inaugurant un nouveau commencement, elle rompt avec l’ordre naturel. Beau discours, qui n’est certainement pas sans vérité. Pourtant, la naissance n’est pas seulement placée sous le signe de la rupture. Elle ne sort pas de nulle part, pas plus qu’elle ne tombe du ciel : elle prolonge précisément le processus biologique de la grossesse. Sans intérêt, pour Arendt, qui perpétue le rejet de la philosophie pour les réalités de la zôè, de la vie un peu trop nue et un peu trop animale. 

Les choses sont en train de changer. Au Royaume-Uni, la philosophe d’origine néerlandaise Elselijn Kingma dirige au King’s College de Londres le programme de recherche Bump, « Better Understanding the Metaphysics of Pregnancy » [« Mieux comprendre la métaphysique de la grossesse »] – l’acronyme évoque le ventre rond des femmes enceintes. Après avoir obtenu un doctorat en 2008 dans cette même institution, elle a publié plusieurs articles où elle élabore une vision singulière du fœtus comme partie biologique du corps maternel : « Individualité biologique, grossesse et reproduction (chez les mammifères) », « Étiez-vous une partie de votre mère ? » ou encore « Neuf mois ». Son travail novateur, qui puise dans la philosophie de la biologie plus que dans la phénoménologie du corps féminin, a été récompensé en novembre dernier par le prix Philip-Leverhulme. Elle a accepté de nous présenter son travail à l’aune de sa propre et dernière grossesse. Sa quatrième. Les enfants font d’ailleurs partie de la discussion : l’un d’eux s’endort sur les genoux de Kingma, un autre demande de l’aide pour ses devoirs. L’ordinaire de la vie d’une mère côtoie la sophistication de la réflexion, par écrans interposés. 

 

Avant la grossesse

« L’année dernière, j’ai donné naissance à mon quatrième enfant. C’était une grossesse prévue. Pas imprévue, du moins. Il est presque impossible de planifier à proprement parler une grossesse. Il s’agit essentiellement d’en entretenir la possibilité ou de tenter de l’éviter plus ou moins activement. »

 

3e semaine / La découverte de la grossesse

« Je ne suis pas certaine de me souvenir exactement quand je me suis rendu compte que j’étais enceinte. Lors de ma première grossesse, j’étais en tout cas convaincue d’être enceinte, avant même que mes règles aient du retard, avant même de faire un test. Je respirais différemment. Je me sentais différente. Mon corps changeait, il poursuivait la voie de la grossesse – qui s’ouvre au début de chaque cycle menstruel, avant, en temps normal, de se refermer. »

 

Premiers mois / L’inconfort

« Le début de la grossesse s’accompagne de formes d’inconfort : nausées matinales, sensibilité accrue de l’odorat, etc. Le fait de porter un enfant limite aussi les capacités normales du corps, en particulier en fin de grossesse : essayez de ramasser quelque chose au sol ! Vous devez modifier votre manière de bouger. La grossesse est donc, sans nul doute, une expérience pesante pour les femmes, quoique de manière très variable. 

D’un point de vue extérieur, cela pourrait accréditer l’idée que notre corps réagit à l’irruption d’un être étranger, comme il le ferait d’une certaine manière avec un virus ou un parasite. Mais, à mon sens, les choses sont plus compliquées. D’un point de vue phénoménologique, l’inconfort ou la douleur sont le signe de la maladie, laquelle me fait prendre conscience de mon corps à travers des sensations désagréables. Il est faux cependant de dire que le corps n’attirerait l’attention qu’en cas de pathologie – comme si, dans son état normal, lorsque tout va bien, il était muet. Dans bien des cas, le corps se signale sans que ce signal soit pathologique. Il est même positif parfois ! Pensez au sport, par exemple : l’athlète adapte sans cesse ses mouvements à des con­traintes, et ces mouvements inhabituels sont parfois douloureux. Mais cet inconfort signale le fait qu’il repousse ses limites physiques. 

Traduit par Octave Larmagnac-Matheron
Expresso : les parcours interactifs
Épicure et le bonheur
Pourquoi avons-nous tant de mal à être heureux ? Parce que nous ne suivons pas le chemin adéquat pour atteindre le bonheur, nous explique Épicure, qui propose sa propre voie. 
Découvrir Tous les Expresso
Sur le même sujet
Article
7 min
Peut-on vraiment “choisir” d’être mère ?
Audrey Jougla 21 février 2022

Lorsqu’une femme décide d’avoir un enfant, elle ne sait pas forcément tout ce qui l’attend : la fatigue physique et morale, notamment, peut…

Peut-on vraiment “choisir” d’être mère ?

Article
2 min
Antoinette Fouque, la gestation d’une autre pensée
La Rédaction

Pionnière du Mouvement de libération des femmes, Antoinette Fouque s’est efforcée d’analyser la singularité du désir féminin. Théoricienne d’une « envie d’utérus » propre à l’homme jaloux de la puissance procréatrice, elle…


Article
5 min
Pierre-Henri Castel : “La grande leçon de la pandémie, c’est que la santé mentale des jeunes dépend largement de leur environnement”
Océane Gustave 22 avril 2021

Avec la succession des confinements et le sentiment d’isolement qui en découle, la santé mentale des plus jeunes se dégrade de façon inquiétante…

Pierre-Henri Castel : “La grande leçon de la pandémie, c’est que la santé mentale des jeunes dépend largement de leur environnement”

Article
10 min
Élisabeth Badinter : “Les femmes, plus que les hommes, sont traversées par des divisions irréductibles”
Martin Legros 13 novembre 2020

Dans son dernier livre, Les Conflits d’une mère (Flammarion, 2020), Élisabeth Badiner revient sur la vie de Marie-Thérèse d’Autriche (1717-1780),…

Élisabeth Badinter : “Les femmes, plus que les hommes, sont traversées par des divisions irréductibles”

Article
3 min
Gestation pour autrui : que donne l’approche réaliste ?
Alexandre Lacroix 23 octobre 2014

Le 26 juin, la Cour européenne de justice condamnait la France à inscrire à l’état civil les enfants nés à l’étranger de mères porteuses. Décision suivie de véhémentes manifestations. Et si l’on remettait les choses à plat ?


Dialogue
14 min
Élisabeth Badinter, Claude Habib. Cherchez la femme !
Martin Legros 24 février 2010

En France, les femmes travaillent… et font plus d’enfants que dans le reste de l’Europe. Si les philosophes Élisabeth Badinter et Claude Habib s’en félicitent, elles s’opposent sur l’essentiel. Pour l’une, les femmes doivent refuser la…


Article
2 min
Rencontre avec Denis Dercourt
Juliette Cerf 05 octobre 2012

Sélectionné à Cannes dans la section « Un certain regard », La Tourneuse de pages, cinquième film de Denis Dercourt, met en scène une vengeance. Une négligence d’Ariane Fouchécourt, membre du jury, fait échouer Mélanie, jeune pianiste,…


Article
18 min
Le voyage des morts
Baptiste Morizot 25 octobre 2012

Chercheur en philosophie passionné de biologie et de médecine, auteur d’une thèse sur le hasard, Baptiste Morizot a suivi pendant plusieurs semaines le travail des services de transplantation d’organes des Hospices civils de Lyon. Il en…


Article issu du magazine n°152 août 2021 Lire en ligne
À Lire aussi
“Gestation post-mortem” : vers des mères porteuses en état de mort cérébrale ?
“Gestation post-mortem” : vers des mères porteuses en état de mort cérébrale ?
Par Octave Larmagnac-Matheron
mars 2023
“Madres Paralelas” ou l’indispensable accouchement de la mémoire
“Madres Paralelas” ou l’indispensable accouchement de la mémoire
Par Marie Denieuil
décembre 2021
“Gestation post-mortem” : vers des mères porteuses en état de mort cérébrale ?
Grossesse post mortem : défi éthique ou don ?
Par Octave Larmagnac-Matheron
mars 2023
  1. Accueil-Le Fil
  2. Articles
  3. Déni de grossesse
Philosophie magazine n°178 - mars 2024
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Avril 2024 Philosophe magazine 178
Lire en ligne
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Réseaux sociaux
  • Facebook
  • Instagram
  • Instagram bac philo
  • Linkedin
  • Twitter
Liens utiles
  • À propos
  • Contact
  • Éditions
  • Publicité
  • L’agenda
  • Crédits
  • CGU/CGV
  • Mentions légales
  • Confidentialité
  • Questions fréquentes, FAQ
À lire
Bernard Friot : “Devoir attendre 60 ans pour être libre, c’est dramatique”
Fonds marins : un monde océanique menacé par les logiques terrestres ?
“L’enfer, c’est les autres” : la citation de Sartre commentée
Magazine
  • Tous les articles
  • Articles du fil
  • Bac philo
  • Entretiens
  • Dialogues
  • Contributeurs
  • Livres
  • 10 livres pour...
  • Journalistes
  • Votre avis nous intéresse