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Déformation professionnelle

Michel Eltchaninoff publié le 04 avril 2023 4 min

Michel Eltchaninoff déjeunait dimanche avec des amis. Il y avait parmi eux un jeune homme, tout juste débarqué en France. Il était vif et disert. Seulement, il parlait extrêmement fort…

 

« Alors qu’il était allé fumer une cigarette sur le balcon, nous nous sommes interrogés sur sa voix de stentor. Chacun avançait son hypothèse. Mais c’est mon ami Nicolas qui a touché juste en disant : “C’est normal, c’est un acteur de théâtre.” Il s’agissait donc d’une déformation professionnelle.

Le concept de déformation professionnelle me fascine. On le néglige trop souvent. Parce qu’on n’aime pas y penser, ou qu’on ne sait pas la détecter. Je connais, dans le même ordre d’idées que le comédien, un conférencier qui vous parle, dans une conversation privée, comme s’il s’adressait à 300 personnes. Mais la gamme des exportations du monde professionnel vers la sphère privée est infinie.

Vous avez peut-être déjà rencontré, au cours d’un repas, un psy qui vous écoute raconter vos petits soucis du jour en marmonnant “Je vois” à intervalles réguliers ; une barista du TGV qui parle en annonces (“Je vous attends en voiture 4, pardon, au séjour, pour déguster un assortiment de cookies, viennoiseries, café, thé ou chocolat”) ; un agent immobilier qui évalue votre bien en un coup d’œil ; un infirmier plein de sollicitude (“Maintenant, on va finir sa soupe et prendre son dessert”) ; un policier qui vous demande, avec un air un peu suspicieux, ce que vous avez fait hier soir, tout en observant un bleu sur votre main ; un dentiste qui a l’œil fixé sur votre bouche ; une pianiste qui tapote sur la table pendant tout le dîner ; une libraire qui inspecte votre bibliothèque en désordre ; un brocanteur qui donne un prix de revente à tous les meubles ; une météorologue qui ne supporte pas vos approximations sur la pluie et le beau temps ; un orthopédiste qui vous donne des complexes tant il se tient droit ; une chanteuse dont la voix s’envole lorsqu’elle évoque un sujet qu’elle aime…

Le déceler chez les autres est amusant. Chez soi, moins. L’autre soir, j’ai encore dû gaffer en demandant à une dame que je ne connaissais pas si elle était fille de diplomates ou diplomate elle-même, tant elle évoquait avec aisance tous les pays du monde sans vraiment se prononcer sur chacun d’eux. Elle a fait une drôle de tête, comme si elle se sentait démasquée. J’en ai aussi fait l’amère expérience, lors d’une discussion animée, au cours de laquelle mon interlocuteur, désireux sans doute de clore le débat à son avantage, m’a fait remarquer que je parlais comme un prof. Je lui en veux encore…

Les déformations professionnelles conjuguent deux concepts importants de Bergson : l’habitude, et ce qu’il appelle – pour parler du rire – du “mécanique plaqué sur du vivant”. Ce qui est fascinant, quand notre métier déteint sur notre vie privée, c’est qu’il s’incruste en nous sans qu’on ne puisse y faire quoi que ce soit. Comme l’écrit Bergson, l’habitude est le “résidu fossilisé d’une activité spirituelle”. Une fois acquise durant nos longues périodes de travail, elle devient un “mécanisme, une série de mouvements qui se déterminent les uns les autres” (La Pensée et le Mouvant, 1934). Elle touche le corps, bien sûr, mais également notre manière de parler, et même de penser. Pire, nos déformations professionnelles nous rendent risibles, par la “raideur de mécanique là où l’on voudrait trouver la souplesse attentive et la vivante flexibilité d’une personne”, écrit-il dans Le Rire (1900). Alors, “le corps prend le pas sur l’âme”, et nous assistons à “la transfiguration momentanée d’une personne en chose”. On n’est plus ce sujet libre qui exprime ce qu’il pense au fond de lui, mais (exemple maudit) un prof qui fait cours.

Cette transformation de soi en caricature, en catégorie sociologique fixe, m’effraie, je vous l’avoue. Je sais pourtant qu’on ne peut y échapper complètement – à moins de changer de milieu, de profession, plusieurs fois en une seule vie. Mais on attrape vite les tics du métier suivant. La seule chose qui me réconforte est cette maxime attribuée à Talleyrand : “Quand je m’examine, je m’inquiète. Quand je me compare, je me rassure.” Piètre consolation, toutefois : ne vaut-il mieux pas se rendre conscient de ce qui nous détermine, pour s’en accommoder ou, patiemment, tenter de le faire évoluer ?

Mais au fait, quelle est votre déformation professionnelle à vous ?

➤ Décrivez-moi la vôtre.
Au moins pour me dire que je ne suis pas tout seul à ne pas savoir comment m’en dépêtrer. »

 

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