Aller au contenu principal
Menu du compte de l'utilisateur
    S’abonner Boutique Newsletters Se connecter
Navigation principale
  • Le fil
  • Archives
  • En kiosque
  • Dossiers
  • Philosophes
  • Lexique
  • Citations
  • EXPRESSO
  • Agenda
  • Masterclass
  • Bac philo
 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
rechercher
Rechercher

Alain Guyard © Les Films des Deux Rives

Culture / Cinéma

Alain Guyard : “Toute parole est légitime pourvue qu’elle retentisse dans l’espace public”

Alain Guyard publié le 08 octobre 2016 7 min

Ancien prof devenu « philosophe forain », Alain Guyard se bat pour ramener la discipline « à sa dimension charnelle, dérangeante, remuante, faisant irruption là où on ne l’attend pas, causant à tous les hommes, même aux humbles sans-grade et sans diplôme ». Sorti au cinéma mercredi, un film intitulé La Philo vagabonde suit sa démarche. Avec son franc-parler et son humour, Alain Guyard nous en dit un peu plus.

 

Vous pratiquez la philosophie en marge des institutions et des conventions. Quel est votre rapport avec l’enseignement de la discipline ?

Alain Guyard: Je n’ai pas de défiance vis-à-vis de l’école. J’ai beaucoup de considération pour les profs de philo, et j’ai toujours conservé de bons contacts avec eux. L’enseignement est un métier qui m’a infiniment plu et les élèves m’ont beaucoup donné. À l’université ou au lycée, j’ai toujours été un prof très exigeant, intransigeant, car je considère qu’il ne faut pas mégoter avec la philo. Les gosses avaient de la considération pour cette exigence. Ils ne cherchent ni la facilité ni la putasserie, qui voudrait qu’on commence à se tutoyer, à dire que « la philo, c’est facile, tout le monde en fait. » Quand tu abordes la question de la tentation du suicide ou le rapport à l’absurde avec un gosse de 17ans, et qu’il écoute Camus et Pascal, il doit être effrayé par un silence. Après on cause.

J’adorais travailler avec les classes scientifiques parce qu’elles partaient avec un a priori négatif. Je leur disais : arrêtez de vous emmerder avec les calculs, vous aurez toutes les calculatrices imaginables. Arrêtez de vous emmerder avec la géographie, vous aurez toutes les cartes du monde. En revanche, dans votre vie, vous allez vous prendre dans la gueule des histoires d’amour, vos parents ont ou vont peut-être divorcer, un mec dans votre famille va connaître le chômage. Ce sont des questions vitales qui les taraudent. Dès que qu’ils saisissent l’urgence même de la philosophie, qui te permet de comprendre qu’exister absolument, c’est s’arracher du vital, alors ils peuvent aller au bout de la démarche. Je suis très proche de la pensée de Jankélévitch. Il faut selon moi vraiment aller chercher ce « je-ne-sais-quoi », parvenir à cet impondérable que je ne nomme pas, qui renvoie à l’urgence d’exister. Je suis très touché quand les gens sentent ce moment de ténuité et de fragilité dans laquelle j’essaie de me mettre, où les mots n’ont plus leur place parce que quelque chose de l’ordre de la présence et de l’indicible s’est instauré. Pour instituer cet état de présence partagée, je commence par occuper le territoire du vital, pour être pris au sérieux, avant de conduire progressivement vers une extrême ténuité, une fragilité. Là, enfin, on touche le vrai désintéressement, le détachement. Ce que je faisais avec mes élèves, je le continue autrement aujourd’hui. La seule règle, c’est de ne pas se prendre au sérieux, de restituer à l’autre sa dignité en lui disant : je ne suis pas là pour vous écraser.

 

Pourquoi avoir quitté l’enseignement ?

J’ai été sollicité pour l’écriture de pièces de théâtre et de plus en plus pris par des interventions dans les hôpitaux psychiatriques, en prison, dans les unités de soins palliatifs… Je ne pouvais plus combiner les deux. Je me suis détaché de ce que je savais faire. Je pratiquais déjà la philo en bistrot, une fois par mois, depuis un certain temps. Attention, il ne s’agissait pas du tout de cafés philo, auxquels je suis très opposé parce qu’ils consistent essentiellement en des tours de parole, que chacun prend en son nom propre pour témoigner de lectures ou de sa vision du monde. Alors, il faut se taire et s’incliner devant le génie des anciens. Je procède différemment : je fais passer la pensée des anciens et sur ce matériau, sur ces boîtes à outils qui nous ont été données, je construis philosophiquement. Je crois qu’on ne philosophe bien qu’en passant par les autres. Dans les cafés philo, au contraire, chacun y va de sa confession publique et montre son capital culturel. Bref, dans les bistrots, j’envoyais du lourd. Et il y avait là des mecs qui n’avaient pas de capital culturel, les poivrots du coin. Je ne pouvais pas mentir ou me cacher derrière l’érudition. Un jour, une gonzesse déboule et me dit : « Toi, Guyard, t’es assez bouffon pour faire de la philo en prison mais assez cabot pour pas te laisser marcher sur la gueule. Est-ce que rejoindre un programme expérimental qui se met en place te sourit ? » Au début, je flippais. J’ai refusé. Puis j’ai réfléchi. Je viens d’un milieu modeste, de la Champagne pouilleuse, un quart-monde de la campagne, dont on parle peu. Tous mes copains ont fini gendarmes parce qu’ils ne voulaient pas être en prison ou en prison parce qu’ils n’ont pas eu le temps d’être gendarmes. J’ai senti une dette à leur égard, j’ai finalement accepté.

Je suis intervenu d’abord à Arles, en partenariat avec le musée archéologique. Il y a là des mecs qui ont pris quinze ans et plus, avec des profils chargés. Ces messieurs sont passés à l’acte. Le musée leur a confectionné un parcours sur « la nuit » et sur la déesse Nyx chez les Grecs. J’ai posé la question de savoir si la nuit pouvait être la menace. J’ai intitulé ça : « Nyx ta mère ? » Les équipes du musée me connaissaient. En 2008, j’avais déjà fait une pièce pseudo-grecque toute en alexandrins dans l’amphithéâtre d’Arles, avec césure à l’hémistiche et rimes en -isse, -asse et -ite. Elle s’intitulait : Putys et Clitoras. Les archéologues avaient bien aimé. Ils m’ont donc demandé de proposer aux détenus une année sur la pensée gréco-romaine. J’ai aussi bossé en prison, notamment à Nîmes, à Tarascon, aux Baumettes, à Marseille, à la prison de Réau, en Seine-et-Marne, en 2013, et à Marche-en-Famenne, en Belgique. En prison, j’emprunte au conte une rythmique de parole et une gestuelle, parce que le théâtre ne leur est pas familier. Je travaille sur l’oralité, en essayant d’instaurer la confiance, qui les guérisse de la perte du monde symbolique. 

J’ai également travaillé en clinique psychothérapeutique, puis en hôpital psychiatrique, avec des soignants convaincus que le malade mental est un malade du lien social. Cette idée va à contresens de l’inclination contemporaine vers la médicalisation de la psychiatrie et de la désubjectivation de la maladie. Ce sont des îlots de résistance. Qu’on se comprenne bien : je n’ai jamais eu la volonté de « récupérer » qui que ce soit ou de montrer la voie du salut. Je me sens vraiment tranquille avec les gens bancals. Je les fréquente non pour les tirer de leur situation, mais simplement parce que j’ai une disposition à leur égard. Aussi, parce que philosopher c’est accepter l’inconfort. Où il y a de la philosophie, il doit y avoir de la marginalité.

 

Comment pratique-t-on la philosophie en hôpital psychiatrique ?

Chaque année, j’élabore un sujet avec l’équipe soignante, autour de thèmes comme « Culture et soins », « Alter ego, au risque du miroir » ou « Le risque aujourd’hui ». Je mène une intervention par mois devant les malades, les soignants, les familles, les curieux… en suivant ce credo : de la vie et des auteurs. Je ne produis pas du concept, d’autres le font beaucoup mieux que moi. Je passe les concepts des autres, humblement. Ensuite, la salle intervient. Je m’attache à répondre à tous, en partant du postulat qu’il n’y a pas de délire. Je cherche dans ce qui est dit ce qui peut servir à approfondir ce que j’ai avancé moi-même. Toute parole est légitime pourvue qu’elle retentisse dans l’espace public. Dans un troisième temps, un pot est organisé par les résidants. Ils me prennent parfois à partie pour me confier une parole plus personnelle. Là encore, je mouline pour trouver la juste proximité ! Quinze ans d’expérience de philosophie à la marge m’aident beaucoup à composer avec ce rapport abrasif à l’existence et au dénuement. J’interviens aussi auprès des clochards. J’ai par exemple participé à une opération dans un Centre d’hébergement et de réinsertion sociale, à partir de ce thème : « Et si c’est pas du luxe, qu’est-ce que c’est ? » L’idée était d’aborder leur rapport au désir et au besoin, qui sont pour eux des idées enfouies parce qu’elles sont trop ardentes. Souvent ces mecs se droguent, se piquent. Ils sont dans une recherche d’absolu, pour en finir avec la répétition du même et la mort du désir au quotidien. 

 

« Pourquoi pas faire de la  la philo un sport de combat ? »

Comment se remet-on de ces expériences ?

Après trois heures d’intervention, je sors. Je reste dans la bagnole, tremblant. Je suis lessivé. Mais j’ai besoin de ce feu, avec la marge médico-sociale et carcérale. Le reste du temps, je ne fais rien. Je vois les copains, je bronze, je regarde les voitures et les filles passer. Je m’oblige à cet arrachement pour récupérer. Chaque semaine, je m’oblige aussi à faire une leçon de philo-foraine nocturne, dans les salles des fêtes, dans les petits patelins, les bistrots. Quatre-vingt gugusses se rassemblent avec du pinard et je fais mon numéro forain. J’essaie de déclencher un processus de déracinement par rapport à l’urgence de la vie, d’installer cette ténuité dont je parlais au début de l’entretien. J’adopte alors les codes des bonimenteurs de foire. J’ai aussi beaucoup appris des grandes gueules dans les bistrots. En gros, dans les bistrots, le code c’est : tenir quarante-cinq minutes, pas beaucoup plus parce qu’après t’as la vessie pleine, en trois fois quinze minutes : avec chaque fois un concept, une situation concrète et une vanne. Quand je sens que ça chauffe, je place la ténuité, une part d’improvisation. Ensuite, le mec pisse et revient avec ses questions. Et mine de rien, il aura bossé pendant deux heures. Et il continuera le travail ensuite.

 

Pourquoi avoir « TOUT » et « RIEN » tatoués sur chacune de vos mains ?

Tout ou rien ? Je voulais faire mon cake quand j’étais jeune, genre « Hate and Love », à la Robert Mitchum. J’ai pensé à « être et néant ». Mais pour « néant », il faut rajouter un doigt. Alors j’ai trouvé ces deux mots de quatre lettres, qui vont bien. En sortant du tatouage, je me suis dit : « Putain, maintenant tous les gens vont me demander la question du sens. » Avec mes deux poings, je recompose les deux infinis de Pascal ! Un boxeur me dit un jour : « Hey mon pote, tu es gaucher ? » Parce qu’il pensait que je mettais tout à gauche. Eh oui, pourquoi pas faire de la philo un sport de combat ?

☞ À voir : La Philo vagabonde, un film de Yohan Laffort avec Alain Guyard. En salles depuis mercredi 5 octobre 2016.

Expresso : les parcours interactifs
Kant et le beau
​Peut-on détester une œuvre comme « La Joconde » ? Les goûts et les couleurs, est-ce que ça se discute ? À travers cet Expresso, partez à la découverte du beau et du jugement du goût avec Kant.

​
Découvrir Tous les Expresso
Sur le même sujet
Le fil
2 min
“22 Leçons de philosophie par et pour les mauvaises filles, les goudous, les travelos, les couires, les petits pédés et les grandes folles”, d’Alain Guyard
Victorine de Oliveira 04 novembre 2020

“22 Leçons de philosophie par et pour les mauvaises filles, les goudous, les travelos, les couires, les petits pédés et les grandes folles”, d’Alain Guyard

Article
1 min
Paroles d’honneur. Quand la parole de la femme marocaine se libère
05 juillet 2021

Parmi les événements proposés par ce festival qui unit depuis dix ans musique et philosophie (lire p. 92), nous vous proposons d’assister à la…

Paroles d’honneur. Quand la parole de la femme marocaine se libère

Article
9 min
Charles Pépin : “La rencontre est ce qui me change par la confrontation avec une altérité”
Catherine Portevin 21 janvier 2021

Confinements et couvre-feux à répétition, bars, clubs et cafés fermés, lieux culturels désertés, télétravail généralisé, « gestes barrières…

Charles Pépin : “La rencontre est ce qui me change par la confrontation avec une altérité”

Article
4 min
Les leçons cachées du vitrail
Audrey Jougla 17 septembre 2022

« Je détacherai encore des arts du feu l’art des vitraux. C’est la peinture la plus éclatante, et qui retrouve presque cette pure couleur des…

Les leçons cachées du vitrail

Le fil
3 min
Paroles, paroles, paroles…
Cédric Enjalbert 17 mars 2023

L’humanité n’a jamais autant pris la parole et, pourtant, on s’écoute de moins en moins – la preuve avec les débats parlementaires sur la réforme des retraites…

Paroles, paroles, paroles…

Article
3 min
Le principe de disproportion
Guillaume Erner 26 septembre 2012

Le retentissement des affaires de pédophilie dans les médias est le reflet d’une focalisation outrée de toute la société. Cette anxiété place les enfants qu’elle entend protéger dans un univers de danger permanent et de défiance.


Article
9 min
Olympe de Gouges : Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne

Texte intégral – « Tant que les femmes ne s’en mêlent pas, il n’y a pas de véritable révolution », disait Mirabeau. Les Françaises furent d'ailleurs les premières à marcher sur Versailles pour ramener Louis …


Article
3 min
Nuit debout agitée: Yánis Varoufákis salué, Alain Finkielkraut chahuté
Cédric Enjalbert 17 avril 2016

Ce samedi 16 avril 2016, deux figures du monde politique et intellectuel se sont rendues sur la place de la République, à Paris, où se tient le…

Nuit debout agitée: Yánis Varoufákis salué, Alain Finkielkraut chahuté

À Lire aussi
“L’inceste est une œuvre de la mort” : des réunions publiques pour libérer la parole
“L’inceste est une œuvre de la mort” : des réunions publiques pour libérer la parole
Par Joséphine Robert
mars 2022
Alain Caillé : “La convivance, c’est l’art de s’opposer sans se massacrer”
Alain Caillé : “La convivance, c’est l’art de s’opposer sans se massacrer”
Par Jean-Marie Durand
janvier 2022
Police ou manifestants, qui détient la violence légitime ?
Police ou manifestants, qui détient la violence légitime ?
Par Marion Lemoine
juin 2016
  1. Accueil-Le Fil
  2. Articles
  3. Alain Guyard : “Toute parole est légitime pourvue qu’elle retentisse dans l’espace public”
Philosophie magazine n°178 - mars 2024
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Avril 2024 Philosophe magazine 178
Lire en ligne
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Réseaux sociaux
  • Facebook
  • Instagram
  • Instagram bac philo
  • Linkedin
  • Twitter
Liens utiles
  • À propos
  • Contact
  • Éditions
  • Publicité
  • L’agenda
  • Crédits
  • CGU/CGV
  • Mentions légales
  • Confidentialité
  • Questions fréquentes, FAQ
À lire
Bernard Friot : “Devoir attendre 60 ans pour être libre, c’est dramatique”
Fonds marins : un monde océanique menacé par les logiques terrestres ?
“L’enfer, c’est les autres” : la citation de Sartre commentée
Magazine
  • Tous les articles
  • Articles du fil
  • Bac philo
  • Entretiens
  • Dialogues
  • Contributeurs
  • Livres
  • 10 livres pour...
  • Journalistes
  • Votre avis nous intéresse