D’autres fêtes que les miennes

Mary Picone, Steven Feld, Clara Biermann, propos recueillis par Cédric Enjalbert publié le 7 min

Festivals, rituels religieux, manifestations populaires… Aux quatre coins de la planète, les hommes chantent et dansent pour célébrer les morts, les divinités, leurs origines. Plongée dans l’imaginaire du Japon, de la Nouvelle-Guinée et de l’Uruguay.

Japon

Mary Picone. “Lors du ‘festival de l’homme nu’, les hommes dépensent leur énergie pour éloigner le mal”

« Les fêtes au Japon sont très nombreuses. L’une des raisons de cette vivacité tient à l’immense quantité de divinités présentes dans l’imaginaire japonais. Ces kami, ces esprits, seraient plusieurs millions. Dans la tradition dite animiste du shintô, on célèbre le fleuve, le tonnerre, la lune, le soleil, certaines montagnes, des dragons qui sortent de l’eau, des entités qui prennent des formes naturelles et les ancêtres, bien sûr. La fête de Gion à Kyôto, bien connue des touristes, réunit ainsi des centaines de milliers de personnes. Des chars défilent, ornés de tissus brodés, des musiciens jouent des airs anciens et, le long de leur route, des maisons traditionnelles exposent des trésors de famille aux passants. Au départ, ce n’est pas une manifestation très positive. Il s’agit d’ôter à la divinité en colère sa capacité de nuisance. Le plus souvent, dans ces fêtes appelées matsuri, les divertissements sont des procédures de conciliation avec les kami, des façons de les amuser pour qu’ils soient bienveillants, qu’ils assurent les récoltes ou la santé de la famille. Tout ceci est temporaire et doit donc être réitéré chaque année. L’idée de répétition est un motif essentiel de la religiosité japonaise. 

Aujourd’hui, la sacralité des fêtes s’est souvent atténuée. Aller au temple est devenu plus culturel que religieux, une coutume plus qu’un acte de foi. De nouvelles manifestations apparaissent d’ailleurs régulièrement. Par exemple, le festival yosakoï, littéralement “viens la nuit”, est né dans les années 1950 et il essaime dans le monde. Il reprend les costumes et les rites paysans, dans de grandes danses collectives au son du tambour, dans un esprit communautaire. On fait du neuf avec du vieux. 

Autre exemple : à l’époque d’Edo [v. 1600-1868], les pompiers enfilaient des sortes de kimonos coupés et ils s’exhibaient dans des exercices difficiles pour témoigner de leur virilité. Des fêtes reprennent ce principe d’ordalie, de mise à l’épreuve. Le hadaka matsuri, le “festival de l’homme nu”, est désormais pour beaucoup un divertissement. Il se déroule en hiver. Plusieurs milliers d’hommes à moitié nus, vêtus d’un simple pagne, se réunissent autour d’un temple bouddhiste. À minuit, lorsque la nuit est tombée, des prêtres lancent des talismans dans la foule. Les hommes se battent alors pour les récupérer et mettre la chance de leur côté pour un an. Ils se chamaillent poussés par l’alcool et peuvent se faire mal pour conserver leur trophée et le planter symboliquement dans une boîte remplie de riz. Il y a des blessés. La violence fait partie de la fête. Elle occasionne des dépenses effectives et improductives d’énergie, même si cette dépense reste codifiée et a un but : éloigner le mal. Autrefois, les participants pouvaient essayer de toucher un homme désigné pour être le Shin-Otoko, une sorte de bouc émissaire choisi pour absorber tous les maux, traversant la foule avant d’en être chassé. Aujourd’hui, cette figure existe encore, mais il s’agit plutôt d’un honneur, reconnaissant sa capacité supposée à absorber les péchés et à diffuser au contraire la félicité. La nudité et le fait de s’asperger d’eau participent de rituels de purification qui écarteraient la mauvaise fortune. »

Expresso : les parcours interactifs
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