Comment le Covid affecte (bizarrement) notre bonheur

Le monde est-il vraiment plus déprimé depuis la pandémie de Covid ? Instinctivement, on aurait envie de répondre « oui », sans hésiter. Mais un sondage Gallup, paru à l’occasion de la Journée mondiale du bonheur (le 20 mars), offre une réponse plus contrastée. En 2020, le bonheur personnel ressenti a parfois augmenté selon les aires géographiques et les classes d’âge. Ainsi, on observe que les personnes âgées se sentent globalement plus heureuses qu’il y a deux ans, tandis que les jeunes dépriment plus. De même, les habitants de la Finlande, de l’Allemagne ou de Taiwan ont globalement davantage le sourire, contrairement à ceux du Mexique, du Brésil ou du Royaume-Uni. 

Comment expliquer de telles disparités ? Voici quelques éléments de réponse, tirés de l’enquête. 

Une légère augmentation du bonheur global en 2020

L’enquête Gallup a été menée dans 95 pays. Chaque répondant devait indiquer, sur une échelle de 1 à 10, où il se situait en termes de bonheur, sachant que 1 est la situation la plus difficile à vivre et 10 la plus optimale. On appelle cela « l’échelle de Cantril ». En 2020, la moyenne globale sur ces pays est passée de 5,81 à 5,85 (sur 10), soit une légère augmentation par rapport à la période 2017-2019 précédemment étudiée. La France se classe 20^e, avec une légère augmentation, de 6,6 à 6,7. La Finlande se classe première de ce classement pour la quatrième fois consécutive, avec un taux de satisfaction proche de 8 (!). Si les raisons de cette hausse sont multiples, certaines sont paradoxalement liées à la crise sanitaire : « Une explication possible est que les gens voient le Covid-19 comme une menace commune et extérieure, qui nuit à tout le monde, et qui a entraîné un plus grand sens de la solidarité et de l’empathie », juge ainsi l’expert John Helliwell, l’un des coauteurs de l’étude.

Les personnes âgées, plus heureuses qu’avant

C’est l’une des surprises de ce sondage. Alors qu’elles sont les premières cibles du Covid, et que l’on aurait pu s’attendre à les voir plonger dans un état d’anxiété important, les personnes âgées semblent plutôt bien vivre cette période. Depuis deux ans, le bonheur ressenti des plus de 60 ans s’est accru de 0,21 point. Dans un article consacré à ce (relatif) mystère, The Economist avance deux explications potentielles. D’une part, les personnes âgées sont contentes de voir que l’ensemble de la société se mobilise pour les protéger. D’autre part, elles se sentent en meilleure santé. En moyenne, les seniors sont 10 % de moins qu’il y a deux ans à déclarer avoir eu un problème de santé pendant l’année. Non pas qu’ils aient miraculeusement cessé d’être exposés aux maladies, mais « ils se sentaient en meilleure santé car ils avaient échappé à un virus qui aurait pu les tuer », selon l’hebdomadaire. Une illustration de l’adage bien connu de Nietzsche : « Ce qui ne me tue pas me rend plus fort. »

Le moral des jeunes en berne

On le sait depuis des mois, mais cette enquête mondiale vient le confirmer : la vie est particulièrement difficile pour les jeunes. En réalité, c’est la dynamique globale du bonheur selon les âges de la vie qui semble avoir changé. Si l’on prend l’exemple du Royaume-Uni, la satisfaction globale a baissé. Mais la baisse est la plus forte chez les jeunes, qui ont à peine à 6/10 de satisfaction contre plus de 7,5/10 habituellement. En temps normal, la jeunesse et la vieillesse sont les périodes où l’on se dit le plus épanoui, et l’on remarque une sorte de cuvette à la baisse entre les deux. En 2020, le constat s’est inversé : la jeunesse est le stade le plus triste de l’existence et la vieillesse, le plus heureux. « De façon assez contre-intuitive, avoir de nombreux amis rend la pandémie plus difficile à surmonter chez les jeunes », précise l’enquête. Les confinements et autres couvre-feux sont autant d’occasions manquées de voir ses proches, ce qui ajoute de la frustration aux difficultés courantes des mesures sanitaires. 

La confiance, facteur essentiel du bonheur

Tous les pays ne répondent cependant pas de la même façon à la pandémie. Certains ont vu leur niveau de satisfaction grimper, d’autres s’effondrer. Pour l’expliquer, le rapport indique que c’est « la confiance dans la société et les institutions » qui permet de tenir le cap, bien plus que les liens de sociabilité proches et intenses. C’est même, semble-t-il, dans ces pays où la sociabilité est primordiale, mais où la confiance dans les étrangers et dans l’État est moindre, que la situation est la plus dure à vivre. D’où un grand nombre de pays d’Amérique latine concernés par cette baisse : Mexique, Brésil, Colombie, Argentine… À l’inverse, des pays scandinaves ou asiatiques tels que la Finlande, la Chine ou le Japon ont vu leur bonheur global augmenter, car ce sont des pays où la confiance dans les autres et dans les institutions est importante. Autrement dit, l’enquête met en lumière une ironie cruelle de la pandémie : on pensait que le fait d’avoir des amis aiderait à la surmonter, or c’est ce qui peut précisément la rendre encore plus dure à vivre... Bref, vivement qu’on en sorte !