Chassez le naturel !

Que reste-t-il de « naturel » à la nature, quand elle est la plupart du temps façonnée par les humains ? Dans son billet du jour, Cédric Enjalbert  invite à changer de regard sur notre paysage.

« Vous l’aurez noté, si vous jouissez d’un jardin ou d’un balconnet, les arbres sont en fleurs. Deux événements célèbrent actuellement la beauté (artificielle ?) de la nature.

Paysage, fenêtre sur la nature. Voici le titre de l’exposition inaugurée ce mercredi au musée du Louvre-Lens. Cette fenêtre s’ouvre non seulement sur les liens de l’artiste à la nature, où il puise l’inspiration, mais surtout sur la manière dont il se fait « créateur de monde ». Car le paysage est une idée neuve en Europe. Il apparaît à la Renaissance, à la suite du développement de la perspective, à un moment où l’on façonne le territoire. L’on découvre ainsi dans l’exposition des motifs « d’ornements » de la nature, des détails tirés de l’observation des arbres, des rochers, des cieux et des eaux, qui permettent à l’artiste de trouver la juste distance entre la reproduction purement géographique et le détail simplement scientifique. Cette distance critique est un artifice nécessaire à l’« invention » du paysage. Il a donné des chefs-d’œuvre comme Le Printemps de Jean-François Millet, exposé ici.

Le paysage n’est cependant pas né en Europe. Comme le rappelle le philosophe et géographe Augustin Berque, auteur de La Pensée paysagère, l’idée apparaît vers le début du IVe siècle en Chine… et avec elle un paradoxe : « Pourquoi nos ancêtres, qui n’avaient pas la notion de paysage, nous en ont laissé de si beaux, alors que nous, qui avons cette notion, nous les ravageons. » L’exposition à Lens offre son parcours en guise de réponse, montrant qu’à la faveur de cette « pensée du paysage », nous avons fait de notre milieu un objet extérieur, auquel nous nous confrontons. En peignant Les Charmes de la vie champêtre, François Boucher témoigne de cette vision théâtrale de la nature façonnée par l’œil, sur laquelle nous croyons avoir la main. Mais la crise écologique nous invite à changer de regard.

La résilience est d’ailleurs le thème du Festival international des jardins à Chaumont-sur-Loire. On pourra les visiter à partir du 25 avril, mais dès ce samedi débute sa « saison d’art », où des artistes contemporains sont invités à livrer leur vision sur les 32 hectares du site. J’ai eu la chance de m’y rendre récemment, alors que le plasticien coréen Lee Ufan y finalisait une création – j’ai beaucoup d’affection pour son œuvre. Il est l’un des représentants du « Mono-ha », un mouvement minimaliste attaché à l’exploration des matériaux, bruts ou travaillés. Inspiré par la philosophie qu’il a étudiée à Tokyo, il s’intéresse au rapport de l’humain au monde tel qu’il apparaît, dans les pas de la phénoménologie. À Chaumont-sur-Loire, les œuvres se mêlent ainsi au paysage, sans que l’on sache immédiatement ce qui est naturel ou artificiel. Ce moment de doute dit aussi notre rapport changeant à la nature ouvragée, plus écologique.

Les Artefacts naturels (Éditions de l’éclat, 2016). C’est la notion proposée par la philosophe et urbaniste Marion Waller pour désigner cette nouvelle conception du paysage, attentive à la porosité du naturel et de l’artificiel. Ce sont « des entités intentionnellement créées par l’homme » en interaction avec la nature. « Cette relation au milieu, entre implication et attention, est assez proche du jardinage », selon elle. Partagée par les artistes contemporains exposés à Chaumont-sur-Loire, cette vision hybride défait notre traditionnel dualisme, opposant nature et culture. Marion Waller a pris, depuis janvier, la direction du Pavillon de l’Arsenal, à Paris, et l’institution présente elle aussi une nouvelle exposition, dès demain. Elle a pour thème le Paris animal, soit la « ville vivante » où l’urbain cohabite avec une faune variée. Un nouvel élargissement du paysage ? »

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