“Changer les règles du jeu”

Que vous inspire la notion de « puissance des femmes » ? 

Chloé Delaume : La puissance des femmes est une notion ancestrale, c’est le personnage de Lilith, la première femme, créée de la glaise avant Ève et en même temps qu’Adam. On la retrouve dans la Bible, le Talmud, le Zohar et surtout la Kabbale. Lilith est « celle qui sait », et celle qui dit non, refuse de se soumettre à l’homme. Chassée de l’Éden et devenue démone, elle erre. La puissance de la femme a toujours été présentée comme une force à neutraliser. L’irruption de cette idée dans l’espace public – avec le livre de Mona Chollet, Sorcières. La puissance invaincue des femmes (Zones, 2018), notamment – était nécessaire. Après des siècles de déni, il était temps que cela arrive, que l’on prenne conscience que la femme est puissante. Et donc dangereuse – une dimension que l’on a tendance à occulter. En effet, il faut comprendre cette puissance comme potentiel de changement des représentations, comme capacité à tout faire exploser. On a trop tendance à lier uniquement ce potentiel de puissance à une forme de douceur, censée être spécifique de la femme.

Dans le care (« soin »), par exemple ?
En un sens, oui. En ce qui me concerne, je pratique le care. Mon dernier livre, Mes bien chères sœurs (Seuil, 2019), est un geste qui va en ce sens. Mais il ne faut pas oublier la violence, la noirceur, la véhémence des femmes.

En quoi leur puissance diffère-t-elle de celle des hommes ? 

Comme les femmes sont du côté des opprimés, il y a probablement une némésis, une volonté de vengeance, de réparation, dans leur affirmation. Et comme leur puissance a été refoulée et longtemps punie, elle est, je crois, potentiellement plus cruelle. Pour l’instant, ce potentiel se canalise dans le care, dans des activités positives, dans des regroupements, des collectifs. Même les groupuscules féministes les plus radicaux ne versent pas vraiment dans la violence. Pourtant, je crois que si la situation n’évolue pas en ce qui concerne les féminicides et si les femmes ne sont pas entendues, il y aura une explosion de violence. Car il ne faut pas s’y tromper en niant la négativité chez la femme. Pensez à l’affaire Jacqueline Sauvage : il y a une violence féminine. Mais il s’agit d’une violence de réaction, pas d’une barbarie.