Cessons de fantasmer la science

Dominique Lecourt publié le 5 min

Les arguments des adversaires du clonage reposent sur la « dignité humaine », sur l’héritage religieux, voire sur des fantasmagories dignes de l’île du docteur Moreau. Or les nouvelles techniques devraient nous inciter à réinventer les normes.

Le clonage humain reproductif fait l’objet d’une réprobation solennelle et d’une dénonciation par anticipation presque universelles. Quel est l’argument commun de ses adversaires ? Que cette technique serait attentatoire à la « dignité » ou, variante, à la « dignité de la personne humaine ». Comment donc définit-on cette fameuse « dignité » ? Peu nombreux sont ceux qui prennent soin de le préciser. Beaucoup se contentent d’invoquer leur intuition et de faire confiance à leur répugnance spontanée, sans se soucier d’argumenter davantage. D’autres assènent le plus souvent des vérités philosophiques comme autant de dogmes : que l’individu humain est un être singulier « insubstituable » ; qu’il est un être libre dont la construction de l’identité suppose qu’il puisse se référer au hasard initial de la rencontre de ses parents et à celui, biologique, de la fameuse loterie génétique dont, prenant le relais des générations antérieures, ils ont fait pour lui tourner la roue. Sa liberté ne consiste-t-elle pas à échapper peu ou prou à tout déterminisme génétique ou naturel ? demandent les plus kantiens. Aucune de ces « vérités » n’est méprisable, aucune de ces questions n’est illégitime. Mais toutes sont, par définition, discutables et engagent des raisonnements souvent très sophistiqués dans le cadre de doctrines qui ne vont nullement de soi.

Les autorités instituées des trois grandes religions du Livre, par ailleurs si divisées, s’accordent sur ce point pour se référer au passage du texte sacré rappelant que l’homme, créé par Dieu « à son image et ressemblance », ne peut contrefaire la Création sans pécher. Les théologiens reprennent ensemble les termes « classiques » de la condamnation de l’eugénisme depuis Nuremberg, laissant entendre qu’il s’agirait en définitive de produire une « race supérieure ». On ne s’en étonnera pas parce qu’ils ont pour vocation de défendre et d’exalter des dogmes qu’ils tiennent pour des certitudes, c’est-à-dire des vérités absolument garanties susceptibles de guider en toute sûreté l’action de ceux qui y adhèrent. Mais chacun sait que les doctrines, dont ces dogmes sont les pièces maîtresses, peuvent inspirer des conflits meurtriers et des haines inexpugnables. Il serait donc imprudent de se fier à un unanimisme négatif pour célébrer l’avènement d’une religion universelle. Il serait au contraire prudent, urgent même, d’engager sur la définition des valeurs qu’ils disent partager le débat le plus vaste et le plus rigoureux possible.

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