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La statue du pharaon Sheshonq Ier (baptisé Cacnaq par les berbères) érigé en début d'année à Tizi Ouzou (Algérie). © NurPhoto via AFP

Histoire

Camus, la Kabylie et le pharaon

Octave Larmagnac-Matheron publié le 18 janvier 2021 4 min

Avec ses quatre mètres de haut, la statue dorée de Sheshonq Ier ne passe pas inaperçue. Nous sommes à Tizi Ouzou, en Algérie, en pleine fête de Yennayer, le Nouvel An berbère. Que fait donc un monument en l’honneur d’un pharaon (qui aurait régné entre 945 et 924 av. J.-C., et fondé la XXIIe dynastie et réunifié d’Égypte, rien de moins !) en plein coeur du Maghreb ? C’est que Cacnaq, comme on le nomme ici, serait d’origine berbère – comme la majeure partie des habitants de Tizi Ouzou ! 

Si certains y croient fermement, d’autres sont plus dubitatifs : « Je trouve qu’on fait preuve d’une trop grande et singulière légèreté face à l’histoire en prenant l’initiative d’ériger une statue pour un pharaon égyptien auquel on prête de vagues origines berbères et dont on ne connaît pas grand-chose », a ainsi réagi le journaliste Djamel Alilat sur Facebook. Mais le monument a surtout suscité la colère conjointe du régime qui « [persécute] les militants de la cause amazighe [berbère] » et des « islamo-conservateurs algériens », souligne le journaliste Djamel Boutebour, qui parlent d’une « alliance inédite » pour « gommer l’identité forte des amazighophones ». Une politique dont Albert Camus se serait indigné.

  • Tout peuple a besoin de symboles pour se constituer comme tel. La statue de Sheshonq Ier est, en ce sens, une contestation, symbolique, de la domination arabe sur une société dans laquelle les Berbères sont toujours « marginalisés » et considérés comme un « problème », comme des « étrangers » (« berbère » a la même étymologie que « barbare ») alors qu’ils sont autochtones. Injustice manifeste qui a poussé bon nombre de Berbères, de Kabyles notamment, à s’engager dans le Hirak, le mouvement de protestation qui a conduit au départ du président Abdelaziz Bouteflika en 2019. Cependant, contester la domination arabe, c’est aussi bien contester la prééminence de l’islam, que les Arabes ont apporté avec eux lors de la conquête. D’où l’alliance de circonstance du régime avec les « salafistes » pour oblitérer tous les symboles de l’identité berbère. « L’installation de cette statue […] réconcilie les kabyles avec leur glorieuse histoire trois fois millénaire » et trop souvent occultée, résume ainsi Djamel Boutebour. Est-ce pour autant un symbole pertinent pour représenter la Kabylie ? 
  • Du 5 au 15 juin 1939, Albert Camus réalise une série de reportages en Kabylie pour le journal Alger républicain. Ils sont rassemblés sous le titre Misère de Kabylie (Domens, 2020). Camus y brosse le portrait, émouvant, d’un peuple plus marginalisé encore qu’il ne l’est aujourd’hui : « Si l’on songe à ce que l’on sait du peuple kabyle, sa fierté, la vie de ces villages farouchement indépendants, la constitution qu’ils se sont donnée (une des plus démocratiques qui soit), leur juridiction enfin, qui n’a jamais prévu de peine de prison tant l’amour de ce peuple pour la liberté est grand, alors la ressemblance se fait plus forte (avec la Grèce) et l’on comprend la sympathie instinctive qu’on peut vouer à ces hommes. […] Le village imposait à chacun sa solidarité, forçait les habitants à suivre tous les enterrements afin que le convoi du pauvre fut aussi suivi que celui du riche […] La peine la plus sévère était l’exclusion, et la mise en quarantaine que personne ne pouvait supporter. » En dépit des humiliations qu’il subit, « le peuple kabyle lui-même n’a pas de ressentiment. Tous m’ont parlé de souffrance. Aucun ne m’a parlé de haine ».
  • « Comment, alors, n’aurais-je pas compris ce désir d’administrer leur vie et cet appétit de devenir enfin ce qu’ils sont profondément : des hommes courageux et conscients chez qui nous pourrons sans fausse honte prendre des leçons de grandeur et de justice », se demande alors le philosophe, légitimant les revendications d’autonomie des peuples berbères, et leur sens de la fierté. Il aurait, pourtant, été surpris qu’un pharaon puisse devenir un symbole de cette identité singulière. « La Kabylie n’a pas besoin de quelques palais […] dans le désert. […] Elle a besoin de beaucoup d’écoles saines et modestes. […] Je comprenais aussi combien peu leur eût été nécessaire pour vivre aussi en accord avec eux-mêmes », écrit-il. Le contraste entre l’humilité des Kabyles et les dimensions monumentales de la statue l’auraient interloqué. 
  • « La sobriété proverbiale du paysan kabyle peut légitimer la faim qui le ronge », avertit immédiatement le philosophe : l’humilité est une arme redoutable pour légitimer la misère. Mais, pour Camus, ce détournement politique ne doit pas faire oublier que « cette simplicité […] de la vie et du paysage comme cet accord entre l’homme et sa terre » est une vertu essentielle que les peuples berbères ont su cultiver tout au long de leur histoire. Une vertu en totale opposition avec la démesure pharaonique : « Pharaon est partout, le monde est Pharaon et vous êtes Pharaon », écrit-il dans les notes préparatoire de La Peste.
  • Le pharaon incarne l’État théocratique qui, « parvenu à la limite de toutes les puissances, [devient] idole monstrueuse couvrant le monde entier ». Il incarne « la pensée autoritaire », « l’absolutisme historique », la « démesure » de l’homme qui prétend dicter sa loi et son sens au monde et qui, « malgré ses triomphes, n’a jamais cessé de se heurter à une exigence invincible de la nature humaine dont la Méditerranée […] garde le secret ». De cette « pensée de midi », « pensée solaire », pensée dépaysée et ouverte à la simplicité sans pourquoi de la « beauté naturelle », que Camus oppose à l’hybris des pharaons, la Kabylie est dépositaire. 
  • Raison pour laquelle les peuples berbères représentent, pour Camus, la possibilité d’une démocratie réelle, une démocratie « libertaire » qui accepte et accueille la pluralité des hommes. Une démocratie dépouillée de la « mystique » de la « volonté générale [indivisible et absolue] postulée comme Dieu lui-même. […] Cette personne politique, devenue souveraine, est aussi définie comme personne divine. De la personne divine, elle a d’ailleurs tous les attributs ». L’exemple de la Kabylie permet de penser une vie politique vraiment humaine, expurgée de son dogmatisme toujours un peu théologique, de ses idoles tyranniques. À condition, peut-être, que les Kabyles échappent à l’écueil de placer leur destin sous l’égide de héros pharaoniques. 
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