Attention, ça grimpe

Ça grimpe pas mal ces temps-ci, non ? On en transpirerait presque, tant l’escalade s’invite partout, sur les terrains de guerre, les plateaux télé et même jusqu’au supermarché… Victorine de Oliveira a peine à tenir le rythme, et se demande si nous n’allons pas finir embarqués sur Artemis et projetés sur la Lune, à force de gravir des échelons plus ou moins symboliques.

« Pas une semaine, pas un jour même, sans que quelqu’un ne mette en garde contre une potentielle escalade ou n’appelle à la maîtriser. Il y a les prix, d’abord : cela fait quelques mois qu’il est devenu quasiment impossible de faire ses courses sans hurler intérieurement. Dans ce dernier cas, ce n’est pas tant l’escalade que l’inflation que l’on déplore, façon sans doute de marquer son impuissance (réelle ou non) face à un phénomène que l’on ferait bien passer pour surnaturel – “C’est l’inflation madame, circulez, y’a rien à voir”. Une phrase de chien de garde que ne renierait pas l’animateur télé Cyril Hanouna, si prompt à défendre les intérêts de son patron Vincent Bolloré, qu’il a senti attaqués jeudi dernier dans la bouche du jeune député de la France insoumise Louis Boyard. Nous publions d’ailleurs une analyse de la méthode Hanouna, entre clash, mauvaise foi et volonté de pluralité.

Sur le plateau de TPMP (Touche pas à mon patron, pardon, à mon poste), le ton est monté très vite entre l’animateur star et son ancien chroniqueur : “Ferme ta gueule”, “Abruti”, “T’es qu’une merde” sont un échantillon de l’échange fleuri qui agite depuis une semaine les réseaux sociaux et désormais la justice, puisque Boyard et Hanouna ont annoncé tout deux porter plainte. Hier soir sur le plateau de BFMTV, la députée LFI Raquel Garrido dénonçait “une escalade qui n’est pas de son fait” [à Louis Boyard] et appelait au calme, craignant peut-être que l’un des deux belligérants ne commette l’irréparable – et si Hanouna cessait d’inviter LFI ? Impensable. Ce serait l’équivalent d’un conflit médiatique nucléaire.

On s’y échange plutôt des poignées de mains viriles et des sourires photogéniques que des insultes, mais l’ambiance paraît presque aussi tendue au G20 – ou G19, selon que l’on estime la présence de la Russie opportune. En légende d’une photo le montrant la main tendue et à point nommé “en marche” vers le président chinois Xi Jinping, Emmanuel Macron twittait hier : “Mettre fin à l’escalade et faire face aux conséquences de la guerre en Ukraine.” Le post précédait la nouvelle de la centaine de missiles à nouveau lancés hier par la Russie notamment sur Kiev et Kharkhiv, sans parler de celui tombé hier soir en Pologne – à l’heure où j’écris ces lignes, il n’y a pas encore de certitude quant à sa provenance, qui pourrait bien s’avérer accidentellement ukrainienne. Étrangement, Macron semblait donc faire référence à la récente libération par l’Ukraine de son propre territoire à Kherson. Atteindre des objectifs militaires pourtant soutenus par la communauté internationale est donc devenu synonyme d’escalade. Les concernés apprécieront.

Vous remarquerez que ceux qui dégainent le plus facilement la menace d’escalade sont rarement les mêmes que ceux qui peinent sur une voie en en cherchant plus ou moins désespérément l’issue. On déplore l’escalade ou l’on invite à sa maîtrise quand on cherche à se poser en arbitre extérieur au conflit. L’escalade pose par ailleurs une symétrie étrange, comme si les deux parties mises en demeure étaient de façon égale responsables de la hausse de la température. C’est gommer en un mot les rapports de pouvoir et de domination, et faire comme si l’on avait affaire à une mécanique inéluctable qui ne nécessiterait qu’une certaine technique pour être enrayée, et pas la bonne volonté du plus puissant et nuisible, ou du plus excité et gueulard. Par extension, c’est aussi s’accorder le pouvoir du mécano.

D’ordinaire, prendre de la hauteur est considéré comme un gage de sagesse : le Zarathoustra de Nietzsche retourne dans sa montagne lorsqu’il est fatigué des querelles stériles des hommes. Mais ces jours-ci, parler d’escalade (alors que d’autres termes comme “surenchère” ou “tension” pourraient convenir) revient à dénoncer une forme d’excès, d’hybris : quelque chose échappe, devient hors de contrôle, peut-être serait-il temps pour tout le monde de revenir sur terre. Vue du sol comme depuis notre satellite naturel, il se pourrait bien que l’absurdité de l’ensemble soit néanmoins tout aussi flagrante. »

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