Une machine comme moi

Une recension de Philippe Garnier, publié le

Un robot a-t-il des droits ? Que se passe-t-il lors­qu’une intelligence artificielle programmée pour faire le bien s’oppose aux manigances des humains ? Telles sont les questions que soulève Une machine comme moi. À la fois dystopie et uchronie, ce roman se situe en 1982, dans un monde où Alan Turing est encore vivant – la longévité du créateur de l’informatique a permis l’éclosion de la civilisation numérique avec vingt ans d’avance. Ce « futur antérieur » redouble notre dépaysement. La Grande-Bretagne est gouvernée par Margaret Thatcher, mais elle est en train de perdre la guerre des Malouines ; Georges Marchais est président de la République française, et les Beatles chantent toujours ensemble. 

Pour acquérir un robot de compagnie, Charlie doit choisir entre les Ève – plus rares – et les Adam. Il se résout à acheter un Adam. Cette machine à l’apparence humaine est capable de sentiments et de jugements que l’on peut configurer en combinant des milliers d’énoncés élémentaires. Au départ, Charlie craint de manquer d’audace et de créer une réplique appauvrie de lui-même. Amoureux de sa voisine Miranda, il lui propose de participer à la programmation. Adam sera donc une créature hybride, reflet de deux personnalités, de deux imaginaires. Les conséquences sont redoutables : non seulement Adam tombe amoureux de Miranda, mais ses principes font de lui un redoutable censeur. Il fait la morale à ses propriétaires, et Charlie n’a plus qu’une seule envie : le détruire à coups de marteau. C’est alors que Turing en personne intervient pour défendre sa créature et s’insurge : « Adam, dit-il, était doué de sensations. Il possédait un moi. La façon dont celui-ci est produit – neurones humides, microprocesseurs, réseaux ADN –, ne compte pas. Croyez-vous que nous soyons les seuls à bénéficier d’un tel cadeau de la nature ? » Aux yeux de son créateur, ce robot est doué d’une conscience. À un questionnement théorique sur la nature de l’intelligence artificielle, Ian McEwan confère la fluidité et le rythme du roman. Ainsi, d’une façon différente de celle de Turing – et bien plus ancienne que l’intelligence artificielle –, il crée par la fiction un monde vivant qui concurrence le nôtre.

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