Un mal de chien
Une recension de Denis Grozdanovitch, publié leAu dix-huitième étage d’une tour d’un quartier périphérique de Paris, une femme d’âge mûr, auteur d’un certain renom, s’efforce d’écrire un nouvel ouvrage tandis qu’en contrebas, un chien perpétuellement à l’attache, régulièrement rossé, hurle à la mort sans discontinuer. Elle en est obsédée et cela l’empêche d’écrire. Cependant, lorsqu’elle tente de sensibiliser ses voisins, elle doit se rendre à l’évidence : la plupart prétendent soit ne rien entendre, soit n’en être pas incommodés, ou bien – pour ceux qui s’indignent timidement lorsqu’elle les sollicite – n’osent s’impliquer dans la moindre action collective, ou encore ont tout simplement peur de se singulariser ou d’avoir à affronter le maître de l’animal.
Le roman nous raconte, dans un style sobrement efficace, les déboires et les désillusions de celle qui, s’efforçant de réagir à une atrocité ordinaire, se voit progressivement mise au ban du voisinage et mise à distance par ses proches (aussi bien ses amis militants d’extrême gauche qui se mobilisent avec fougue pour des causes humanitaires lointaines, que ses propres filles – elles-mêmes gagnées à la confortable renonciation petite-bourgeoise), tous préférant voir en elle une femme seule et vieillissante aux nerfs malades.
Claire Etcherelli, qui eut un succès considérable avec un premier roman dérangeant, Élise ou la vraie vie (prix Fémina, 1967), a écrit là une fable hautement représentative, à mes yeux, du monde actuel – sans cesse en danger de se faire conformiser par différents totalitarismes larvés. On sait que les autorités américaines qui libérèrent les camps de concentration en Allemagne firent cette constatation que les voisins prétendaient n’avoir rien su, rien vu, rien entendu. On sait aussi les difficultés que rencontrèrent les évadés de cet enfer pour faire accréditer le récit de leurs tribulations.
Il n’est pas indifférent, je pense, que ce soit une femme qui ait écrit cette allégorie de notre temps dont la victime n’est qu’un simple animal. Il y a quelques années une autre femme (aux nerfs sans doute tout aussi malades), Élisabeth de Fontenay, a écrit une étonnante somme philosophique intitulée Le Silence des bêtes dans laquelle nous est décrit comment notre civilisation s’est toujours définie par son mépris des animaux et, partant de là, de tous les êtres prétendument primitifs ou considérés comme inférieurs – racine de tous les ethnocentrismes.
Pour séjourner une partie de l’année à la campagne, je connais nombre de très véhéments militants des « droits de l’homme » qui vivent à deux pas de gigantesques élevages en batterie et ne s’en émeuvent pas plus que ça. Il me semble pourtant, et c’est le grand mérite de ce livre, de nous le rappeler de façon poignante que l’insensibilité à la souffrance des êtres infériorisés – fussent-ils en apparence moins consciencieusement développés que nous nous flattons de l’être – est le symptôme d’une tyrannie totalitaire savamment occultée.
Luna, 7 ans.
Liao Yiwu avait imaginé dans un poème le massacre de la place Tian’anmen. Il l’a payé de quatre terribles années de détention. Exilé en Allemagne…
Dans la nouvelle exposition du musée du Quai-Branly, l’anthropologue Philippe Descola revisite la manière dont un Tchouktche, un Européen, un Aborigène ou un Africain fabriquent et regardent les images. Ce qui en dit beaucoup sur nos…
Gilles Deleuze et Félix Guattari Mille Plateaux (1980)
S’affichant dans des domaines aussi divers que l’art ou la finance, le cynisme contemporain semble dénaturer l’esprit du cynisme antique. Mais est…
De l’Athènes de Socrate à l’Empire romain, le cynisme antique a essaimé pendant près de dix siècles. Dominé par la figure de Diogène, philosophe…