Traits. Une métaphysique du singulier
Une recension de Martin Duru, publié leIl paraît que nous sommes tous irremplaçables. La philosophie le dit parfois, le marketing et le développement personnel le rabâchent : chaque être, chaque « soi » est unique. Vraiment ? Voici un livre tout entier tourné contre cette idée d’une pure singularité individuelle. Professeur à Macerata en Italie, Paolo Godani lance une fronde contre la notion d’individu qui, depuis Aristote au moins, désigne précisément « une entité unique et irremplaçable ». La discussion et le rejet de ce concept forment le cœur de l’ouvrage qui, autant le dire tout de suite, est d’une difficulté redoutable : que l’auteur aborde des développements de la philosophie médiévale, moderne ou contemporaine, c’est toujours de la métaphysique pure et dure (parfois très dure). Essayons de condenser : au lieu de partir de l’individu comme base et horizon insurpassable de la pensée, Godani préfère parler de traits. Un trait est une qualité qui se remarque, qui crée une différence, une distinction. Premier exemple : telle nuance de couleur – le « bleu Klein » est évoqué au tout début. Deuxième exemple : tel sourire marquant. Sans nous en dire plus sur l’élue, Godani évoque souvent le sourire d’une certaine Marta. Or ce qui compte ici, ce n’est pas tant la personne qui arbore ce sourire (Marta, qui en soi serait exceptionnelle, bouleversante…), c’est justement ce sourire si spécial (qu’il soit timide ou mutin…) qui « fait » la personne. Autrement dit : un trait est une singularité constitutive d’une chose ou d’un être ; et même s’il se manifeste chez tel ou tel individu, il pourrait se révéler, se répéter ailleurs. La thèse est celle d’un « réalisme des traits » : ces derniers sont indépendants des êtres qui les portent, qui, comme on dit en métaphysique, les instancient. Ils sont « communs » au sens où ils peuvent circuler d’individu en individu. En définitive, qui sommes-nous ? Godani avance cette proposition : un individu, loin d’être une substance autonome, doit être considéré comme une « constellation de traits singuliers », un faisceau de qualités qui, reliées entre elles, témoignent d’une certaine manière d’être. Mais ne l’oublions pas, les traits qui constituent les êtres ne leur appartiennent jamais en propre. Le sourire que vous avez tant aimé chez une personne, au point de croire celle-ci incomparable, inimitable, vous pourriez retrouver exactement le même sur le visage d’une autre, plus tard… Comme quoi la métaphysique la plus pointue peut aussi se révéler troublante.
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