Tout un monde dans une coquille

Une recension de Victorine de Oliveira, publié le

Certains s’en souviennent peut-être : en 2019, les médias anglo-saxons, du National Geographic à The Atlantic en passant par CNN, pleuraient la mort de « lonely George », une célébrité d’autant plus étrange qu’elle n’était autre qu’un tout petit escargot élevé en laboratoire. George avait toutefois la particularité d’être le dernier représentant de son espèce, l’Achatinella apexfulva, endémique de l’île hawaïenne d’O‘ahu. Avec lui s’éteignait une espèce victime comme tant d’autres de la modification de son environnement : nouveaux prédateurs introduits par des échanges commerciaux croissants, collectionneurs avides de coquilles au couleurs chatoyantes, diversité moindre des essences qui composent la forêt hawaïenne… La disparition d’A. apexfulva permet de comprendre celles qui se jouent actuellement dans une relative indifférence, notamment parce qu’elles concernent des insectes et des gastéropodes moyennement photogéniques. De même qu’Anna Tsing s’est intéressée au matsutaké, un champignon à l’aise dans les paysages dévastés, pour comprendre la dégradation de nos écosystèmes, Thom Van Dooren se penche sur ces escargots hawaïens pour penser l’extinction de masse. Que signifie la disparition d’un être qui vit non pas dans sa coquille, mais sur le mode de la coquille, c’est-à-dire tantôt enroulé sur lui-même, tantôt déroulé sur le monde ? Et qui fait de la bave un mode de communication ? C’est tout un monde de significations qui s’éteint avec A. apexfulva. Et à plus ou moins long terme, ce sera sûrement à notre tour d’en baver.

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