Seiobo est descendue sur terre

Une recension de Philippe Garnier, publié le

Vers quoi l’œuvre d’art fait-elle signe ? Quel est cet « ailleurs » qui ne repose pourtant que sur sa présence, ici et maintenant ? Ces questions, László Krasznahorkai les a souvent posées en tant que scénariste en travaillant avec son compatriote hongrois, le réalisateur Béla Tarr. Seiobo est descendue sur terre, qui remporta l’International Man Booker Prize en 2015, est écrit sous le signe d’une déesse japonaise qui daigne apparaître aux mortels à travers le jeu d’un comédien. En Occident, depuis les Grecs, on appelle cela une épiphanie. Aujourd’hui, ce mot a pris un autre sens : c’est la compréhension soudaine d’une signification qui transcende le monde ordinaire. En dix-sept récits, Krasznahorkai raconte comment l’aura d’une œuvre d’art peut se manifester dans nos vies saturées de bruit et d’images.

Une très ancienne statue japonaise du Bouddha est endommagée. Elle passe dans un atelier de restauration, à Kyoto. Mais comment faire pour lui rendre la profondeur de son regard ? Que reste-t-il de sa sublime expression dans ce qui n’est plus qu’un lot de pièces détachées ?

Un gardien du Louvre se sent inexplicablement lié à la Vénus de Milo. Il essuie les railleries de ses collègues et médite toute sa vie sur cette œuvre issue d’un monde ancien, disloqué, effacé.

Un touriste atterrit à Athènes, grimpe sur l’Acropole, mais le marbre blanc réverbère un soleil trop puissant qui l’aveugle, et il ne verra rien de cette architecture parfaite dont il rêvait depuis toujours.

Un peintre suisse de 1900 vient de perdre sa compagne. Il sait que les bandes de couleur qui apparaissent sur sa toile sont désormais pour lui les seules représentations possibles de ses chers disparus.

La phrase de Krasznahorkai, qui court souvent sur plusieurs pages, semble construite pour déblayer les scories de la réalité quotidienne et faire place nette pour que quelque chose – la beauté ? – puisse enfin advenir. Ce rythme d’écriture, dans sa sinuosité, son insistance, ses accélérations soudaines, dit avec une extrême acuité la puissance et la fragilité de l’art. Et notre difficulté à nous ouvrir à la contemplation.

 

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