Philosophie de l’océan

Une recension de Charles Perragin, publié le

Menant des recherches en philosophie de la perception, Roberto Casati s’intéresse à l’océan parce qu’il constitue un espace sensoriel déroutant. Un monde sans odeurs, sans couleurs, où les coordonnées sont de pures abstractions privées de réalité physique, où l’eau se déplace en permanence. « L’océan [...] oscille métaphysiquement entre le statut de pur lieu et celui de matière en mouvement. » « C’est le monde de l’amorphe, de l’illusion : de loin, il est impossible de distinguer la côte d’un banc de brouillard. Sur les flots, l’ontologie est toujours douteuse. » C’est pour cela que la pratique du navigateur est si codée : dans l’océan tourmenté, les tâches minutées donnent au corps un salutaire ancrage. Au fond, pour Casati, le chaos marin nous fait sécréter un besoin de stabilité. Sensorielle et mentale. Chez les Micronésiens, les « etak » sont des îles repères invisibles réelles ou imaginaires projetées sous l’horizon grâce à la position des astres. Ce besoin de fixité, de hauteur – pour la navigation astronomique – ou d’abstraction pure – quand nous avons recours au GPS – fait formuler à l’auteur une hypothèse originale : et si la philosophie comme monde stabilisé sous la tutelle des concepts avait été, en Grèce antique, une nécessité déterminée par le voisinage de la mer ? Et si la Méditerranée était notre vraie caverne de Platon ? Au IIe siècle de notre ère, le grand astronome Ptolémée a bien tiré de nombreux enseignements de l’observation des illusions marines… À travers cette méditation océanique jalonnée de récits et de dessins de traversées, Casati fait de la mer une matrice de la pensée encore fertile aujourd’hui. Avec son esprit de recyclage, de rationnement, d’humilité, se dévoile une philosophie du navire. Le voilier comme rapport à la vie et à l’environnement ne peut être qu’une sagesse précieuse pour notre civilisation consumériste. Inaugurant (avec l’essai de Thierry Hoquet, Le Nouvel Esprit biologique) une nouvelle collection, « Sciences dans la cité », ce livre a ainsi une forte portée politique, dont la continuité pourrait être que la mer acquiert une personnalité juridique ou devienne même un « État fictif ».

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