Notre-Dame de Paris

Une recension de Philippe Garnier, publié le

Dans Notre-Dame de Paris, la cathédrale est au centre : toile de fond, scène populaire, c’est aussi un livre sculpté qui s’adresse au plus grand nombre. Or le roman se situe en 1482, à la veille d’un changement de civilisation. Ce qu’on appelle le Moyen Âge touche à sa fin. Les premiers livres imprimés font leur apparition en Europe. L’immense grimoire de pierre sera bientôt destitué. Frollo, machiavélique archidiacre de Notre-Dame, le constate avec mélancolie, montrant successivement l’immense édifice puis un livre imprimé à ses côtés : « Hélas, ceci tuera cela. » Bientôt, le sens migrera vers la page imprimée, et la forêt de piliers, d’images et de sculptures, ne sera qu’un vestige illisible. Dans Notre-Dame de Paris cependant, Victor Hugo tente d’inverser le processus. Son roman cherche à faire revivre la cathédrale parisienne, à ressusciter le livre de pierre, à le déchiffrer autrement.

Dans la première moitié du XIXe siècle, écrivains et philosophes contemplent ces édifices au cœur des villes. Quel en fut le sens jadis ? Ont-ils encore un sens dans cette ère de bouleversements ? Pour Hegel, la cathédrale gothique traduisait le dépassement du sensible par le spirituel. Elle exprimait la « conscience malheureuse » chrétienne, cherchant à rejoindre l’infini.

La vision d’Hugo est plus séculière. De Notre-Dame de Paris, il dit qu’elle est « l’œuf, le nid, la maison, la patrie, l’univers ». Un cosmos miniature. Trouvé enfant dans la cathédrale et adopté par Frollo, Quasimodo en est l’excroissance humaine, monstrueuse et sublime. Le peuple de Paris, à sa façon, en est issu lui aussi : il est instruit par ses ouvrages d’art, édifié par ses vitraux, guidé par ses cloches et ses cérémonies. Si un tel édifice peut survivre à la fin de l’âge gothique, c’est dans sa dimension charnelle, politique, immanente à la vie de la cité. Dans Notre-Dame de Paris, la cathédrale accouche du génie populaire, elle enflamme la créativité collective. « Cet édifice autrefois si dogmatique, envahi désormais par la bourgeoisie, par la commune, par la liberté, échappe au prêtre et tombe au pouvoir de l’artiste. […] Le livre architectural n’appartient plus au sacerdoce, à la religion, à Rome ; il est à l’imagination, à la poésie, au peuple. » Temple du savoir et creuset du bouillonnement populaire, la cathédrale hugolienne devient au fil des pages un monument laïque, une scène où se joue l’émancipation des humains.

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