Ma France
Une recension de Philippe Garnier, publié le« La France est-elle finie ? » se demandait Jean-Pierre Chevènement dans un livre paru en 2011. Cette question a intrigué Peter Sloterdijk qui n’hésite pas à répondre : oui, la France est finie si l’on entend par France un pays qui s’accroche à la Grande Histoire, celle des révolutions et du rayonnement universel. Pourtant, Sloterdijk maintient sa déclaration d’amour et même d’appartenance à la France. Il rassemble vingt-trois textes qui lui sont consacrés, certains inédits, d’autres non. Une forme s’y dessine : celle d’un « pays philosophique » dont l’histoire est scandée par les étapes de la pensée. La France y apparaît comme une passion inutile selon les critères d’aujourd’hui, mais incroyablement créatrice.
Peter Sloterdijk analyse de toutes parts l’étrange feuilleté hexagonal. Mais sa démarche ne se réduit évidemment pas à celle de l’historien. Qu’il s’agisse de la Révolution française, du marxisme d’Althusser ou de la politique de l’après-guerre, il traite l’événement dans sa dimension de métanoïa, c’est-à-dire de résolution, réussie ou non, d’une crise par une conversion intellectuelle. La pensée permet de surmonter une impasse. Elle métabolise la colère ou l’angoisse, et les recycle en architecture, en institutions politiques et en concepts. Ainsi la méthode de Descartes oppose-t-elle aux guerres de religion la réponse tranquille de l’évidence rationnelle. Deux siècles plus tard, Alexandre Dumas, contemporain du jeune Marx, imagine une riposte fabuleuse à l’agression du nouveau capitalisme des années 1840 : celle d’un trésor enfoui qui annule la valeur des richesses mal acquises. Peu après, avec une clairvoyance faussement naïve, Jules Verne invente la performance touristique dans une planète globale : un tour du monde en quatre-vingts jours, volontairement vide de sens. Quant à Jean-Paul Sartre, romantique malgré lui, il décide de séjourner dans son vide subjectif sans jamais le combler et maintient avec insolence cette force de négation abyssale. Cette série de mises en résonances se prolonge jusqu’à Bruno Latour en passant par Rousseau, Valéry, Lacan, Cioran, Foucault et Derrida. Dans chacun de ces portraits, la psychologie, le contexte historique et la philosophie se tissent en une trame audacieuse et non dénuée d’humour.
Sloterdijk ne sonde jamais une époque ou une figure sans se demander quel passé irrésolu les hante. Selon lui, la France occupe une place toute particulière dans ce qu’il appelle la « géopolitique de la conscience malheureuse ». Après 1945, elle a fabriqué une mythologie de pays vainqueur qui s’est prolongée jusqu’aux années 1990. Cette image de soi trompeuse s’est fissurée pour laisser place à la crise d’identité réelle ou supposée qui sévit aujourd’hui. Quant au voisin allemand, il s’est infligé une thérapie plus sévère et plus profonde. Il a définitivement renoncé à son décorum, à sa mythologie nationale. Or, c’est précisément cet éloignement qui permet le rapprochement officiel. Le malentendu autorisant une coexistence sans douleur, les deux pays sont sortis de la fascination haineuse. Face aux désastres du conflit mondial, ils n’ont pas fait le même effort d’interprétation, mais ils ont conquis le droit de s’ignorer tranquillement. La France, quant à elle, après avoir forgé au fil du temps de formidables outils de lecture, semble avoir du mal à lire son passé proche sans le falsifier.
[Traduction d’Olivier Mannoni]
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