Love. Histoire d’un sentiment
Une recension de Clara Degiovanni, publié leQuel rôle joue l’élu de mon cœur dans ma vie ? À quelle fiction, à quel mythe, suis-je en train de m’accrocher quand je vis mes propres histoires d’amour ? C’est au prisme de ces questions existentielles que l’on peut parcourir cette fresque consacrée aux fictions amoureuses, où s’entrelacent des mythes antiques et philosophiques, des chansons grivoises de troubadours, des lettres d’amour ou encore des épitaphes. Barbara H. Rosenwein, historienne médiéviste spécialisée dans l’étude des émotions, organise ses sources en cinq parties, qui sont autant de questions sur les rapports amoureux. Mon amour est-il celui qui me complète, mon alter ego ? Celui qui m’élève et me fait être meilleur, mon maître, voire mon Dieu ? Apparaît-il plus simplement comme mon mari ou ma femme, limitant en partie ma liberté via les liens du mariage ? Prend-il la forme obsessionnelle d’un être qui hante mes pensées ? Peut-être se présente-t-il enfin comme un ensemble de conquêtes, fruits d’un « vagabondage amoureux » ?
Cette dernière option, incarnant « la menace d’un désir libéré de ses chaînes » est « le cœur des ténèbres », avertit l’autrice. Si certains récits libertins ont donc été censurés – entre autres sous l’impulsion de l’Église –, ils ont continué à exister de « manière souterraine », alimentant un univers érotique traversé de paradoxes. Ainsi les élèves des sévères écoles médiévales lisaient-ils le poète antique Ovide en latin et son éloge du « simple plaisir de flirter, de coucher, de dépérir de désir », lui qui n’hésitait pas à demander à une femme mariée de venir à un banquet « avant son mari ». Pourquoi ? « Je n’en sais rien, mais viens avant quand même », exigeait-il, badin.
Barbara H. Rosenwein s’attaque à un présupposé assez ancré selon lequel les histoires d’amour se diviseraient en deux grands mouvements : un passé fait de contraintes et un présent libéré. Au XIIe siècle, la belle Héloïse, préférant être « la putain » de son amant Abélard plutôt que sa femme, plaide au contraire pour une version très moderne de l’amour, délestée des obligations matrimoniales. Inversement, la vie en ménage telle qu’elle est vécue aujourd’hui – avec, notamment, le poids de la « double journée » des femmes – possède son lot de contraintes et d’inégalités. Enfin, le mariage d’amour, mû par nul autre motif que la pure passion, célébré depuis les années 1960-1970, est en un sens plus exigeant moralement que toutes les autres formes de conjugalité. Sous ses airs libérateurs, il est assorti d’une obligation aussi puissante que paradoxale : celle « de ne pas se sentir obligé », d’agir en étant porté à chaque instant par une passion constante et inextinguible, indépendamment des conditions matérielles d’existence et des fluctuations des sentiments. Même si l’on sait que cet amour absolu est un mythe, on ne peut s’empêcher de s’en servir pour structurer nos espoirs et nos attentes. Il est facile, prévient Rosenwein, « d’adhérer à une fiction et de la laisser dominer sa vie ». Mais le fait de prendre conscience de l’immense diversité des récits sur l’amour et de découvrir les ruptures, les continuités, les résonances, les contradictions de tous ces mythes puissants et foisonnants, permet de se libérer de leur tyrannie.
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