Londres

Une recension de Cédric Enjalbert, publié le

« Un énorme enchevêtrement de terreurs accumulées. » Dans cet inédit de Céline, redécouvert en 2021, Ferdinand, le narrateur, brosse le tableau de son séjour dans l’enfer londonien, auprès des macs et des prostituées, après qu’il a réussi à se soustraire à l’horreur de la guerre, bien qu’elle continue de le hanter. Il en ressort des saillies de poésie âpre : « C’est pas méchant un homme au fond, c’est un acharné voilà tout. C’est fier de son rêve. C’est un poète bien marrant. » Mais Céline y témoigne aussi de la naissance d’une double vocation : la médecine – « c’est le pouvoir que j’aurai voulu, l’intime, le véritable, celui qui est là au petit nerf de la douleur physique, celui qui ne ment pas » – et la littérature, qui dit vrai sur « le mensonge de sa propre vie ». Cette réflexion sur le réel et son double prend finalement un tour shakespearien. L’un des acolytes ne s’appelle-t-il pas Yorick, comme le bouffon mort dans Hamlet ? Angèle, sa compagne, ne finit-elle pas comme Ophélie, folle dans un monde détraqué par la violence ? Être ou ne pas être, telle est bien la question « ontologique » de cette épopée des bas-fonds… qui a failli n’être jamais ! La préface, qui minore étrangement l’antisémitisme de Céline, ne dit par ailleurs rien du parcours exceptionnel de ce texte. Il faut lire le récit enlevé du journaliste Jean-Pierre Thibaudat (Louis-Ferdinand Céline. Le Trésor retrouvé, chez Allia), devenu fortuitement le dépositaire secret de ces milliers de pages, pour en savoir plus. Où l’on apprend comment ce « trésor » a été préservé grâce au résistant Yvon Morandat par « respect de la chose écrite ». Ce qu’on appelle avoir du style ?

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