L'imposteur

Une recension de Philippe Garnier, publié le

Un grand mensonge n’est pas l’œuvre d’un seul individu, il est une construction collective, le miroir d’une époque. Depuis Les Soldats de Salamine, publié en 2001, Javier Cercas introduit avec brio une part de fiction dans des épisodes historiques. Avec L’Imposteur, c’est l’inverse : il mène une enquête scrupuleuse sur un affabulateur d’exception, il démonte une fiction présentée comme la vérité. Comment Enric Marco a-t-il pu tromper ses contemporains si longtemps ? Président de l’Amicale de Mauthausen, ce soi-disant combattant de la guerre civile fut le porte-parole des déportés espagnols. Il s’était inventé une vie sur mesure : il disait avoir combattu Franco, avoir été arrêté en France par la Gestapo avant d’être déporté au camp de Flossenbürg. La période de l’après-Franco lui réserve un triomphe, il devient une figure médiatique de « juste ». En 2005, cependant, un historien exhume des archives compromettantes. Très vite, le tissu se démaille. S’il est parti en Allemagne, c’est comme travailleur volontaire. S’il a été détenu, c’est quelques semaines dans une prison ordinaire. À la place du héros et de la victime apparaît un menteur surdoué. Face à Javier Cercas, l’imposteur démasqué se montre pugnace. C’est un double de l’écrivain, quelqu’un qui s’arrange pour qu’on croie à ce qu’il invente. Dans son affabulation, tous les faits sont plausibles et surtout, Marco sait répondre à l’attente de l’opinion espagnole, il a plusieurs fois adapté sa biographie imaginaire en fonction de l’actualité. Avec une obstination fascinée, l’écrivain démonte la fabrique d’une fable qui arrangeait le pays tout entier. Il pose la question d’une vérité trop frustrante pour que quiconque accepte d’y croire.

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