L'éternité, ou presque : Morbus ipsa senectus

Une recension de Juliette Cerf, publié le

C’est l’histoire d’une femme qui n’est plus regardée par les hommes. Leurs œillades concupiscentes la gênaient souvent alors qu’elle était jeune fille et qu’elle arpentait librement les rues. À l’aube de la cinquantaine, ces regards semblent tant lui manquer que leur absence se colore d’une dimension géographique, territoriale, un léger délire du monde au sens de Deleuze : « Ce n’était pas arrivé brutalement, mais progressivement : les premiers regards à s’être détournés étaient ceux des villes du centre de l’Italie et du nord, puis ceux des métropoles, et désormais on ne la regardait même plus dans le sud »… Tel est le point de départ du récit très personnel d’Antonella Moscati, philosophe italienne née en 1955, traductrice de Jean-Luc Nancy et de Gilles Deleuze, déjà auteur en 2000 d’un récit sur la folie, Verbali (Léo Scheer). Méditation poignante sur le vieillissement – le livre s’achève sur son implacable sifflement « signes de la sénescence » –, L’Éternité, ou presque (Arléa) donne à l’épreuve du temps l’enveloppe matérielle d’un corps féminin. Si cette réflexion métaphysique fait mouche, nous touche, c’est qu’elle est d’abord physique, incarnée. Pourquoi les hommes et les femmes ne sont-ils pas égaux devant le passage des ans ? Quel peut être le sens philosophique de la ménopause, de ces hormones « sans pitié » ? Comment le corps féminin devenu infécond, « déphasé », vit-il désormais le « mouvement naturel de la terre », passage régénérant de la nuit et du jour ? « La grande décrue qui l’avait abandonnée sur la rive la mettait dans une position délicate, celle du poisson hors de l’eau qui ne sait s’il doit suivre son désir de rejoindre le fleuve, au risque de s’y épuiser, ou doucement s’éteindre au soleil. »

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