Les Sentinelles des pandémies. Chasseurs de virus et observateurs d’oiseaux aux frontières de la Chine

Une recension de Catherine Portevin, publié le

C’est le livre le plus troublant pour comprendre ce qui nous arrive. L’anthropologue Frédéric Keck l’a pourtant écrit avant la pandémie de Covid-19, Ce que nous avons vécu comme une catastrophe naturelle aussi soudaine qu’inédite était attendu, imminent, s’étant pour partie déjà produit. Depuis presque quarante ans, disons depuis l’épidémie d’Ebola, en 1976, tous les experts de la « santé globale » savent qu’une pandémie, causée par un virus animal passé chez les humains (ce qu’on appelle « zoonose »), peut un jour prochain provoquer une catastrophe mondiale. Mais c’est en Asie, et principalement en Chine, que l’on s’y prépare, tandis que ce scénario reste étranger à l’imaginaire occidental.

Frédéric Keck travaille sur ce terrain : il prend ces pathogènes qui franchissent les barrières d’espèces comme « point de départ d’une enquête sur les transformations des relations entre humains et non-humains ». Le voici donc sur la piste des « chasseurs de virus » (microbiologistes et virologues), des ornithologues, des poulets, des éleveurs, des informaticiens qui modélisent les pandémies, des vendeurs de pangolins, des chauves-souris, des vaccins, des antiviraux… Il a mené sa recherche entre 2007 et 2013 à Hongkong, Taïwan et Singapour, trois territoires en relation immédiate avec la Chine, et particulièrement touchés par le Sras en 2003. Craignant de nouvelles épidémies de grippe aviaire venues de Chine, ils sont à la pointe de la préparation scientifique, technologique, sanitaire, philosophique même, à la catastrophe. Pour le dire vite, la prévention consiste à abattre massivement les élevages dès qu’un animal infecté est repéré ; la précaution est un modèle immunologique fondé sur la vaccination ; la préparation enfin, qui prend acte de la vulnérabilité globale du monde, exige, elle, de l’imagination. Sachant imaginer ce qui peut arriver, elle anticipe les moyens d’y faire face et se tient en « sentinelle » pour en détecter les moindres signaux. Une mentalité de chasseur-cueilleur, en quelque sorte. L’anthropologue retrouve ces différentes visions dans l’histoire des sciences sociales, en relisant leurs fondateurs successifs (Spencer, Durkheim et Lévi-Strauss) au regard des maladies de leur époque (la fièvre aphteuse, la variole, la maladie de la vache folle). Cette richesse théorique achève de faire de cet ouvrage original un vade-mecum pour aujourd’hui.

Sur le même sujet



Le fil
3 min
Hannah Attar

Rédigé durant la première vague du coronavirus en France et publié pendant la deuxième, le dernier ouvrage de Frédéric Keck aurait pu être un livre de…

“Signaux d’alerte”, de Frédéric Keck

Article
2 min
Octave Larmagnac-Matheron

Les Britanniques sont confrontés à une résurgence de maladies de l’ère victorienne. Ce phénomène montre que l’immunité est une construction…

Maladies d’hier, maladies d’aujourd’hui