Le Silmarillion

Une recension de Octave Larmagnac-Matheron, publié le

Le succès du Seigneur des anneaux tient en grande partie, disait Tolkien, l’auteur de la saga, au sentiment que l’intrigue est soutenue par un monde beaucoup plus vaste que le nôtre : il est doté de sa propre cosmologie et de sa géographie imaginaire, héritier d’une histoire fictive de plusieurs siècles qui se racontent dans une pluralité de langues inventées – Tolkien était philologue de profession. Le Silmarillion, qui paraît dans une nouvelle traduction, permet de mesurer l’ampleur de cet arrière-plan mythique, retravaillé des décennies durant. Tout commence par la Musique : Eru, le dieu unique, convie les esprits angéliques à chanter. Le monde apparaît ensuite comme une Vision, à laquelle le Créateur conférera l’être (Tolkien est un catholique fervent, si l’on en doutait). Mais Morgoth se rebelle. Jaloux du pouvoir démiurgique qu’il ne possède pas, l’ange noir veut « être le Seigneur et Dieu de sa création personnelle ». Son indocilité se mue en un désir illimité de posséder le pouvoir pour refaçonner la réalité à sa guise. Tout Le Simarillion raconte la lutte contre ce « désir de la pure Domination », de la « déformation tyrannique ». Lutte désespérée s’il en est : d’une bataille à l’autre, le sang coule, les corps s’amoncellent, la dévastation se propage, entrecoupée seulement de rares moments de joie. Le mal est trop fort. C’est la tragédie des Elfes – « immortels tant que dure le monde » et condamnés par la réincarnation à « ne jamais l’abandonner même quand ils sont massacrés » – que d’endurer jusqu’au bout cette lente défaite. Viendront ensuite les « Successeurs », les Hommes, terrifiés par ce « Don » même que les Elfes leur envient : la mortalité, qui les « affranchit des cercles du monde ». Au-delà du récit, magnifique, la puissance du Silmarillion tient pour beaucoup à ce dialogue souterrain de la mortalité et de l’immortalité.

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