Le principe

Une recension de Alexandre Lacroix, publié le

Ce court roman est un joyau. Il est aussi d’une lecture exigeante, car Jérôme Ferrari n’a pas écrit pour vendre. Il n’a pas usé de grosses ficelles mélodramatiques ni d’allusions malicieuses à l’actualité. Mais il a pris trois ans, après le prix Goncourt qui a récompensé le Sermon sur la chute de Rome, pour composer cent soixante pages qui le hissent au sommet de son art, la littérature. Au fait, c’est quoi la littérature ? On ne saurait en donner de meilleur exemple que les dernières pages du roman, intitulées « temps ». Comme dans la nouvelle L’Immortel de Borges, ces pages sont écrites à la première personne du singulier, mais ce n’est pas le même homme qui parle au début et à la fin du chapitre. Au début, le narrateur est un écrivain méditant à bord d’un taxi dans une capitale d’un pays du Golfe sur la manière dont la technique peut faire surgir un monde faux du désert. À la fin, le narrateur est un jeune soldat américain qui vient arrêter Werner Heisenberg dans sa maison de campagne. Comment s’est faite la transition ? Elle est insensible, les identités permutent magiquement sous le pronom « je », et tout cela tient magnifiquement. La littérature, c’est ça : il ne s’agit pas de dire la vérité, mais d’essayer de nommer l’indicible.

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