Le Bouddhisme, une philosophie du bonheur ? : 12 questions pour comprendre la voie du Bouddha
Une recension de Philippe Nassif, publié leL’importation récente du bouddhisme en Occident est peut-être l’un des événements spirituels majeurs de notre temps. Mais qui reste éminemment fragile, tant il est vrai que cette sagesse exotique souffre de malentendus mortifères. Tel est le point de départ du formidable, et très pédagogique, essai de Philippe Cornu. Lui jouit à la fois d’une familiarité concrète – il pratique depuis trente ans – et théorique – il enseigne le fait religieux à l’université catholique de Louvain, en Belgique. Il parvient ainsi à arracher le bouddhisme à la gangue de clichés professés par les uns – le « nihilisme » fantasmé par des philosophes tels Schopenhauer – et les autres – la pensée magique ânonnée du côté du new age. Sans escamoter les divergences entre les différentes écoles, tibétaines ou zen, ici explicitées, Cornu répond ainsi à nos principales questions, qui souffrent d’abord d’être mal posées. Le bouddhisme est-il une philosophie ? Une religion ? Non si l’on entend par « philosophie » une pensée grecque de l’être des choses, et par « religion » un mode d’accès à cette « extériorité transcendante » promu par les monothéismes. Mais oui, si l’on considère que la philosophie travaille à expliquer rationnellement les rapports entre la pensée et le monde phénoménal. Et oui, si l’on voit la religion comme une pratique rituelle visant à accueillir en soi « l’inconditionné ».
« Le bouddhisme nous apparaît dans son altérité rugueuse mais aussi dans son urgente actualité »
Autrement dit, il s’agit d’entrer – en s’appuyant notamment sur la méditation – dans une pensée de l’impermanence des choses : dénuées d’essence et tournées vers leur incessant devenir. Pour autant, le bouddhisme n’aboutit pas, comme il se raconte volontiers, à une ablation de l’ego mais plutôt à « une chaleureuse estime de soi » débarrassée des « complaisances narcissiques ». Il ne prône pas un idéal fumeux de cessation du désir, mais vise en fait à appréhender l’énergie pure d’un désir libre de tout objet – ici le bouddhisme consonne avec la philosophe chrétienne Simone Weil, note Cornu. Et il n’est pas, enfin, une attitude aspirant à abolir le monde extérieur – comme a pu le soutenir Jean-Paul II dans une encyclique –, mais, plus finement, à percer le voile des représentations mentales qui entrave notre juste ouverture à une situation donnée, ici et maintenant.
De là le bouddhisme nous apparaît dans son altérité rugueuse mais aussi dans son urgente actualité : les questions éthiques qui aujourd’hui nous agitent – l’écologie, l’euthanasie, le suicide par exemple, à propos desquels Cornu cite les réponses apportées par les maîtres venus enseigner en Occident – trouvent ici un point de vue susceptible d’enrichir la conversation démocratique. Car la compassion, insiste-t-il, n’est pas affaire de guimauve mais appel à l’action – et donc à un certain engagement social.
Reste qu’à la différence des religions abrahamiques, « la foi bouddhiste n’est pas une croyance », mais « la confiance dans une vision » – celle de la possibilité de l’Éveil – « qu’il s’agira de vérifier par la suite ». Non pas, donc, une philosophie du bonheur mais bien plutôt une pratique. Ainsi, Cornu consacre-t-il son dernier chapitre aux chausse-trappes qui attendent ceux qui s’engagent sur la voie spirituelle, ou dharma – de l’inconfortable rapport au maître à la difficulté d’avancer sans but. Son livre, sans doute, sténographie une nouvelle étape, plus lucide, dans cet étrange processus d’acclimatation. Car « l’assimilation des valeurs bouddhiques risque d’être parsemée d’embûches que nombre d’adeptes actuels semblent loin de soupçonner ». Et d’ajouter : « Dans l’urgence, il faut savoir se hâter lentement. »
Un regard acéré sur les faiblesses de ses contemporains, une anticipation de la théorie des pulsions, l’ouverture de la pensée occidentale au bouddhisme, la philosophie de Schopenhauer a inauguré bien des pistes.
Faire le vide ? Rien de plus difficile. Sans occupation, l’esprit s’inquiète et s’agite. Les philosophies de l’Asie proposent deux voies…
En réalisant “120 battements par minutes”, le cinéaste Robin Campillo conjure une amnésie historique collective, rappelant la capacité du cinéma à…
Anti-héros des Lumières, trouble-fête sulfureux qui emporte proprement la philosophie dans le boudoir, Sade suscite la controverse depuis plus de…
Dans le dossier de notre nouveau numéro, la philosophe américaine Susan Wolf, autrice du Sens dans la vie (récemment paru en français chez Éliott Éditions…
La citation corrigée par François Morel.
La philosophie a souvent recours à des exemples imagés ou des métaphores pour expliciter des concepts, mais très rarement au dessin à proprement parler. C’est…