L’Aventure, l’Ennui, le Sérieux

Une recension de Marie Denieuil, publié le

Publié timidement en 1963, cet ouvrage est un tour de force dans l’histoire de la philosophie. Après la parution de ses deux œuvres majeures de morale, Traité des vertus (1949) et Philosophie première (1954), Jankélévitch s’attache à dégager la teneur essentiellement temporelle de l’existence. Inspiré par Bergson et sa conception du temps réel comme durée, comme par la vision plus tragique du temps comme aventure de Simmel, il va chercher son épaisseur dans les dispositions du sujet à être dans le temps, qui lui permettent – avant (je m’aventure), après (je m’ennuie) ou pendant (je suis sérieux) – de se raconter. De « temporaliser » son existence, en somme. L’aventure n’est plus catégorie de l’action mais disposition orientée vers l’avenir, oscillant entre jeu frivole et issue fatale. Avec, comme point ultime, la rencontre amoureuse, cette « aventure qui régénère au-dedans de la vie une seconde vie », aussi belle que dangereuse. À l’autre extrême, l’ennui, enrichi du concept kierkegaardien d’angoisse, est cette disposition orientée vers le passé et engluée dans le présent, à la frontière du « rien-ne-se-passe » et du tragique. Le sérieux, enfin, opère la réconciliation des trois temps. Trois figures du temps qui en constituent l’étoffe même. Le coup de maître de Jankélévitch consiste à renouveler l’approche du temps en accordant un crédit philosophique à trois notions mineures, et ce par le potentiel de créativité que les mots eux-mêmes inspirent. Finie, l’analyse froide de concepts hyperrationnels : L’Aventure, l’Ennui et le Sérieux est une œuvre de poésie et de philosophie téméraire, qui nous jette dans l’extraordinaire de l’existence.

Signalons aussi la parution le 5 octobre de L’Enchantement musical de Vladimir Jankélévitch, (Albin Michel, 304 p., 21,50 €) qui regroupe tous les textes du philosophe sur la musique.
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