La revanche des passions

Une recension de Michel Eltchaninoff, publié le

Après avoir remporté la guerre froide, l’Occident a fait une erreur d’appréciation. Persuadé que seuls la raison et l’intérêt guidaient les individus et les peuples, il a oublié de prendre en compte les passions. Depuis quelques années, elles remontent violemment à la surface. Pierre Hassner, élève de Raymond Aron, pense les relations internationales en philosophe. Il rappelle que l’homme n’est pas uniquement dirigé par la tête et le ventre. Entre les deux se loge ce que Platon nomme le thumos, « siège de l’honneur et de la colère ».

L’humiliation des vaincus trouve revanche dans l’exaltation identitaire et le religieux. L’opium du peuple censé le « pousser à la résignation et à la passivité » s’est transformé en « crack qui l’incite à la violence apocalyptique ». L’accélération des communications et des transports, la « globalisation des émotions », l’apparition de moyens de destruction à distance comme les drones ont créé « une situation de soupçons réciproques universels et, potentiellement, de guerre de tous contre tous ». Rédigé avant les attentats du 13 novembre, cet ouvrage les éclaire avec une impressionnante hauteur de vue. Face aux passions meurtrières, nos démocraties libérales paraissent sur la défensive. Quelle perspective pourrait nous élever au-dessus de nous-mêmes ? Hassner considère avec Spinoza qu’on ne peut « vaincre une passion qu’en la remplaçant par une autre », à condition qu’elle nous grandisse. Il appelle donc à ressusciter, avec Tocqueville « ce goût sublime de la liberté ».

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