La Raison et la Colère. Un hommage philosophico-politique à Jacques Bouveresse

Une recension de Frédéric Manzini, publié le

Il y a un peu plus d’un an nous quittait Jacques Bouveresse (photo). Historien critique de la philosophie, dénonciateur sans relâche des impostures, défenseur tous azimuts de la vérité, grand amateur de littérature et de musique, auteur d’une œuvre protéiforme, il avait intitulé sa chaire au Collège de France « Philosophie du langage et de la connaissance ». Mais il était surtout un esprit libre dont Jean-Claude Monod, qui fut à la fois un proche et un interlocuteur, nous brosse le portrait dans un petit livre en forme d’hommage. Il le décrit d’abord comme un intransigeant défenseur de la rationalité contre toutes les idéologies et les diverses tentatives de récupération politique dont elle fait l’objet. Il raconte aussi ses emportements contre un certain journalisme culturel dont il ne partageait pas le goût de la vulgarisation. S’il n’a jamais occupé le devant de la scène médiatique, c’est qu’il ne cherchait pas la reconnaissance du grand public et rechignait à vulgariser. N’était-il pas un fervent admirateur de Karl Kraus, grand pourfendeur de la compromission des élites intellectuelles et de la presse ? Bouveresse, explique Monod, a mal vécu dans sa jeunesse l’influence délétère qu’un Sartre avait pu exercer sur la scène philosophique française et il dénonçait à la fois « la primauté absolue de la philosophie pratique sur la philosophie théorique et la politisation intégrale de la philosophie ». Mais lire Bouveresse peut s’avérer austère. Ses ouvrages sont exigeants et les connaissances qu’ils mobilisent souvent pointues : « Assurément, explique Jean-Claude Monod, Bouveresse revendiquait un style universitaire, contre la dévalorisation de l’université devenue si fréquente dans le champ médiatique et sans doute dans le champ social tout entier. » Son œuvre n’en a pas moins marqué l’institution, ne serait-ce que par la rigueur avec laquelle elle a intégré les apports de la philosophie analytique ou ceux de la logique, de l’épistémologie et de la philosophie des sciences. Elle a également joué un rôle considérable pour introduire au sein de l’université française l’étude de certains auteurs d’Europe centrale et, notamment, des Autrichiens comme Bernard Bolzano (1781-1848), Ludwig Boltzmann (1844-1906) ou Ludwig Wittgenstein (1889-1951), auquel d’ailleurs est consacré Les Vagues du langage, l’ouvrage posthume qui paraît simultanément au Seuil (672 p., 31 €) et qui s’interroge sur la signification (et plus précisément sur « la possibilité de comprendre et d’utiliser un mot dans quelque sens que ce soit », dès lors qu’aucun mot n’a de sens a priori mais que c’est l’usage qui lui en donne un). C’est aussi cela l’importance de l’héritage qu’il nous laisse et que Jean-Claude Monod appelle l’« effet Bouveresse ».

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