La Fin des choses

Une recension de Octave Larmagnac-Matheron, publié le

Les informations ont remplacé les choses. Tel est le constat alarmé qui ouvre le dernier ouvrage, aussi bref que cinglant, du philosophe germano-coréen Byung-Chul Han. Nous ne manipulons plus le monde à l’heure de sa dématérialisation. « On n’a plus rien en main. » À la main, « organe du travail et de l’action », s’est substitué le doigt du digital, « organe du choix », qui se contente de faire le tri au sein du flot de données spectrales qui s’impose à lui. La matière elle-même se vaporise à mesure que nous implémentons en elle programmes et autres algorithmes d’intelligence artificielle. « Nous communiquons et nous interagissons » avec cette substance tellurique transmuée en « infomates » sans nous confronter à elle. « L’ordre terrestre » nous est devenu indifférent. S’il capte un instant notre attention, c’est que nous attendons de lui un « vécu », qui en chasse un autre et sera aussi vite oublié. Le régime informationnel est un régime de l’éclatement, de la fragmentation. Opposé diamétralement à la chose qui, dans sa « solidité », sa « résistance », sa « fermeté », offre l’« assise » nécessaire au déploiement d’une véritable durée. « Les choses stabilisent la vie humaine dans la mesure où elles lui confèrent une continuité. » Cet « environnement stable à l’habitat » fait de plus en plus défaut et provoque un « délabrement des architectures temporelles » qui ont été celles de l’humanité pendant des siècles. En cherchant à nous libérer de l’opacité inquiétante des choses, avec lesquelles il faut toujours négocier, nous avons ouvert la voie à une aliénation beaucoup plus dangereuse. Privé des « pôles de repos du monde », l’homme s’épuise dans une dispersion incessante de lui-même. Il est urgent de réapprendre à « séjourner auprès des choses ». Réapprendre le sens de ces « choses du cœur » avec lesquelles nous pouvons tisser des liens durables, dans la mesure où nous reconnaissons leur étrangeté, leur altérité. L’information est toujours immédiatement soumise ; la chose doit, au contraire, être apprivoisée.

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