La Dépendance

Une recension de Sonia Feertchak, publié le

La romancière Rachel Cusk a le chic pour bâtir des intrigues puissantes à partir d’événements ténus. C’est encore le cas dans La Dépendance. Lors d’un voyage à Paris, M, la narratrice, découvre, bouleversée, les toiles de L, peintre renommé. Quinze ans plus tard, M, juste cinquantenaire, toujours torturée, invite L à séjourner dans la dépendance de la petite propriété côtière où elle vit avec son second mari, le pragmatique et serein Tony. À l’issue du premier confinement (la pandémie, effleurée, permet de situer le récit) et de quelques atermoiements, L dépose ses valises dans la dépendance. À le fréquenter, M se retrouve chavirée, « à vau-l’eau comme un esprit errant, chassée hors de la demeure de [son] être ». Sa relation à son mari, la féminité déployée de sa fille, jusqu’aux velléités littéraires du compagnon de celle-ci, les rêves des uns s’effilochent aux désillusions des autres. Après Arlington Park ou L’Œuvre d’une vie. Devenir mère, l’écrivaine britannique témoigne à nouveau de ses obsessions pour des personnages en quête de vérité. Sont-ils bien réels ? Suffisamment vivants ? Dans cette optique, M cherche à exister aux yeux de L, au risque de la destruction : car « votre regard tient du meurtre ». Ainsi la dépendance n’est pas qu’une maisonnette, elle est aussi affaire de sujétion. On s’en doutait. Si les phrases de Cusk sont ciselées, c’est au burin et au scalpel. Autrice ultra-cérébrale et souvent drôle, elle excelle à suturer roman et essai, réalité et fiction – d’où les initiales de M et de L, inspirés d’êtres réels, quand les personnages fictifs ont droit à un prénom. On peut s’amuser, pour qui l’a lue, à chercher Rachel dans l’histoire : je la devine cachée, l’entends partout. Et aucun doute, quant à moi : à la lire, je me sens vivante.

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