Je suis capable de tout

Une recension de Philippe Garnier, publié le

« Je crois en votre développement mental. Si vous tenez ma méthode entre les mains, ce n’est pas un hasard » : c’est par ce genre de messages que Paul Béranger, l’un des coachs les mieux payés de la planète, entre dans le cerveau de ses lecteurs. Allongée sur une plage nudiste de la Côte d’Azur, Julie est sa lectrice captive, sa cible idéale. Divorcée, attendant l’aventure, elle lit en bronzant à quelques mètres de sa fille qui, elle, dévore un manga de l’espèce yaoi. Quelques kilomètres plus loin, au Fort de Brégançon, une présidente de la République et son comédien de mari accomplissent eux-mêmes le rite des vacances. Ce couple officiel s’impose à l’esprit des plagistes comme une ultime référence, une icône de l’huile solaire et de la paix psychique. Chacun profite de l’été pour retrouver la voie du développement personnel.

« La part la plus mystérieuse, la plus intime, que le coach révèle en chacun, c’est aussi sa part la plus standardisée »

Qu’apportent ces lecture estivales ? Un conformisme abyssal, semble dire Frédéric Ciriez, qui a bâti avec ce roman une surprenante et libératrice machine de guerre. Dans un diptyque où alternent l’histoire de Paul Béranger et la vie de Julie, Ciriez élabore une irrésistible parodie : « Refusez de toutes vos forces ce faux self qui vous force à vous mentir à vous-même ». Ou encore : « Le mental est le socle de notre puissance individuelle ». D’un côté, l’ancien coureur olympique devenu coach mégalomane des puissants de ce monde. De l’autre la cliente-type, dessaisie de sa propre vie, affamée d’authenticité, qui tombe consciencieusement dans le panneau. Lorsque l’héroïne dit d’elle-même : « Je suis une scientifique, pas une littéraire. Je me suis développée au contact de gens qui préféraient les jeux vidéos à la lecture de Paulo Coelho », la jubilation atteint son paroxysme. Pourtant, Je suis capable de tout est un roman à deux versants : si le sens des mots s’efface sur l’ardoise magique du mental coaching, il ressurgit aussitôt, miraculé par la littérature. Le langage finit par nous prémunir contre sa propre contrefaçon.

Au-delà, ce livre est une mise à nu troublante. Jusqu’où un coach peut-il vous révéler à nous-même ? En quoi consiste son savoir ultime ? La réponse de Frédéric Ciriez est d’une profonde drôlerie : la part la plus mystérieuse, la plus intime, que le coach révèle en chacun, c’est aussi sa part la plus standardisée, la plus inconsciemment docile, la plus platement consumériste. Lorsque, affranchie par sa lecture, Julie décide enfin de passer à l’acte et d’aller jusqu’au bout d’elle-même, elle tombe amoureuse d’un bellâtre nommé Giacomo et bascule avec ravissement, telle une Emma Bovary nudiste, dans le plus éculé des clichés. Bref, grattez le moi profond, vous trouverez le mimétisme éternel. 

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