Irréfutable Essai de successologie

Une recension de François-Henri Désérable, publié le

Avant leurs titres, avant même leurs couvertures, ce qui en librairie accroche l’œil du chaland venu chercher des livres, ce sont leurs bandeaux. Certains jouent la sobriété avec le nom de l’auteur (« Modiano »), d’autres mentionnent un prix littéraire (« Femina »), d’autres encore claironnent « Dix millions d’exemplaires dans le monde », comme si la qualité d’un livre se mesurait à l’aune de ses ventes. Au palmarès des bandeaux racoleurs, on tient déjà le champion toutes catégories confondues pour l’année 2023 : « Comment intriguer, abuser, écraser pour avoir du succès », nous promet celui qui orne cet Irréfutable Essai de successologie. Mais il nous suffit de lire le nom de Lydie Salvayre au-dessus du néologisme pour comprendre aussitôt toute l’ironie qu’il recèle.

Comment se faire un nom ? Comment émerger de la masse ? Comment s’arracher à son insignifiance ? Comment s’acheter une notoriété ? Autant de questions auxquelles l’autrice de Pas pleurer (prix Goncourt 2014) et d’une vingtaine de romans et récits, dont le sublime BW sur son compagnon Bernard Wallet, se propose de répondre. Car c’est une chose entendue : « Se distinguer du reste des humains, être quelqu’un, quelque chose, apparaître au JT de 20 heures […], désirer briller aux yeux du plus grand nombre constitue la passion la plus archaïque et la plus universelle qui soit en ce bas monde. »

Sous couvert de nous donner les clés du succès à la façon d’un manuel de développement personnel, la romancière la plus punk du milieu littéraire dézingue tour à tour et à la sulfateuse l’influenceuse et l’homme influent, ses confrères et consœurs écrivains (des poètes débutants aux transfuges en passant par tous ceux « engagés dans la publicité de leur engagement »), sans oublier les critiques littéraires. Avant de nous offrir, dans les dernières pages de ce pamphlet réjouissant, un vibrant plaidoyer pour la littérature, la vraie, celle qui dit « non à ces livres sans nerfs, sans os, sans chair, sans poids, ces livres sans bonté, sans joie, sans rage et sans exultation, ces livres sans épines, ces livres sans arêtes, ces livres bien prudents, bien polis, bien proprets, ces livres bien nippés, bien peignés, pommadés, ces livres écrits à l’eau tiède à l’usage des tièdes et qui châtrent, affadissent et dévoient toutes les choses qu’ils nomment ».

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