Etudes sur la personnalité autoritaire

Une recension de Mériam Korichi, publié le

« Je ne blâme en rien les nazis pour ce qu’ils ont fait aux Juifs. Cela semble terrible, je sais, mais si les Juifs se comportaient comme ils se comportent ici, je ne les blâme pas. » On ne sait presque rien de celle qui formule cette opinion stupéfiante. Nous sommes aux États-Unis, après la Seconde Guerre mondiale. Le Jewish American Committee a commandé une étude sur l’antisémitisme, menée notamment par le chef de file de l’École de Francfort, Theodor Adorno, qui avait fui le nazisme. Les enjeux théoriques de cette enquête, publiée pour la première fois en français, se sont élargis en chemin : « Notre étude tire son origine d’enquêtes spécifiques sur l’antisémitisme. Néanmoins, au fur et à mesure de l’avancée de notre travail, l’accent s’est peu à peu déplacé. Nous en sommes arrivés à considérer comme notre tâche principale non pas l’analyse de l’antisémitisme […], mais plutôt l’examen des relations entre le préjugé antiminorités et des modèles idéologiques et caractériologiques plus vastes. »

L’étude révèle une typologie des caractères autoritaires et antifascistes, fondée sur une méthodologie consistant à faire apparaître les liens entre les opinions renfermant des préjugés raciaux, sociaux, économiques et politiques. Ce qui intéresse l’auteur n’est pas d’évaluer le pourcentage de la population américaine qui serait d’accord avec l’opinion suivante : « De nos jours, avec des gens si différents qui se déplacent tellement et se mélangent si librement, il faut être particulièrement attentif à se protéger contre les infections et les maladies. » Il s’agit de comprendre comment cette opinion s’associe à d’autres préjugés, révélant une économie psychique particulière. La démarche relève de la psychologie et exploite le concept freudien de personnalité pour étayer l’idée d’« individu potentiellement fasciste ». Avec la distinction de la personnalité et du comportement – « la personnalité réside derrière le comportement et à l’intérieur de l’individu » –, s’impose l’idée de « tendances profondes », ni conscientes ni manifestes. Ce livre éclaire ces syndromes autoritaires dormants qui pourraient constituer une « disposition à exprimer spontanément (à l’occasion qui convient) des idées fascistes ». Ce faisant, il met en perspective les illusions persistantes de la conscience et de la liberté de pensée pour rendre compte de l’origine des opinions des hommes.

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